Une paire d'heures passées avec Emmanuel Éthier et Jimmy Hunt, qui a remporté mercredi une paire de Félix à L'Autre Gala de l'ADISQ (album de l'année - alternatif et album de l'année - choix de la critique), nous ont permis de saisir le comment et le pourquoi de Tss Tss, nouvel opus d'un garage rock francophone qui reprend du service.

La fondue au Chocolat était connue avant la sauce Jimmy Hunt, la voilà de retour à notre table afin qu'on s'en barbouille la face.

Fin d'après-midi à l'Escogriffe. Les mecs relaxent avant d'enfiler la prochaine interview. On leur serre la pince pendant que l'autre (pince) lève son verre de pinard. Souriants, parfaitement disposés à causer de cet album à la pochette brouillonne, aux fréquences saturées, aux rimes bellement grasses et floues.

Il est d'abord question d'un spectacle qui n'a jamais été présenté:

Jimmy Hunt: «Ysaël [Pépin] et moi avions discuté de nous remettre ensemble avec Chocolat, mais je ne voulais pas sans nouveau matériel. Il y avait eu quelques répétitions... Il n'y avait pas d'agenda, mais j'avais une toune de côté: Fantôme. En décembre, j'avais créé d'autres chansons qui s'inséraient mal dans mon projet solo. J'ai pensé à Chocolat, et Manu [Emmanuel] m'a alors suggéré d'enregistrer ce matériel pour ensuite donner quelques shows avec le groupe. Finalement, j'avais une dizaine de chansons en poche! Nous sommes entrés en studio, une autre chanson est née pendant les séances: Méfiez-vous du boogaloo. Nous en avons gardé huit pour finir. Ça s'est passé très vite.»

L'enregistrement a eu lieu au Studio Victor, un grand classique de Montréal. Nos interviewés affirment ne pas s'être laissé intimider par les lieux.

Emmanuel Éthier: «Il y avait plein d'instruments et de l'équipement à souhait, mais on s'est servis quand on en ressentait le besoin. Tous les sons qu'on aimait des maquettes de Jimmy, on les gardait. On repassait ça dans une bande magnétique, on jouait avec les contrastes. L'idée, c'était de se casser la tête, mais pas trop! Nous avons fait les prises de son disposées en ovale, avec le moins de micros possible, sans isolation entre les instruments et la voix. Le mix ne changerait pas grand-chose au finish. Ça sonne bien? On continue. N'importe quel puriste aurait dit ben, voyons donc!»

Le chanteur de Chocolat caricature la fameuse expression désignant la manière Phil Spector - «wall of sound» - et résume l'approche de Tss Tss:

Jimmy Hunt: «Une sorte de wall of shit! (rires) La voix est au fond dans le mix, le band est en avant. Cet album-là, ce n'est pas un "je", c'est un "nous". Ça a toujours été comme ça avec Chocolat. Dans le rock francophone, c'est rarement le cas, mais... j'aime ce son diffus, j'aime la façon dont joue ce band. De la formation originelle, tout le monde est là, sauf Dale McDonald (établi à Berlin), remplacé par Manu.»

Le personnel est composé de Brian Hildebran, batterie, Martin Chouinard, claviers, Isaël Pépin, basse, Manu, guitares et claviers, moi, guitare et voix. Sauf Jimmy et Emmanuel qui gagnent leur vie avec la musique et la chanson rock (Manu est l'un des réalisateurs et accompagnateurs les plus sollicités de la nouvelle scène keb), les musiciens de Chocolat ne sont pas des pros. Et c'est très bien ainsi, insiste le réalisateur de Tss Tss.

Emmanuel Éthier: «Nous avons voulu faire des musiques un peu complexes, avec des musiciens garage aux limites de leurs capacités. Ça reste donc instinctif et primal. Ces gars-là apprennent une chanson, on se rend jusqu'à un point où l'on a encore l'impression qu'ils sont en train de l'apprendre. Garage, donc? L'étiquette garage a une connotation assez puriste, ses amateurs aiment une certaine période de l'histoire du rock et s'efforcent de la recréer. Pour nous, cependant, l'esprit du style est plus intéressant que sa reproduction.»

Bémols sur le garage rock, peut-être, mais zéro bémols sur les collègues.

Jimmy Hunt: «Dans le genre à Montréal, ils sont les meilleurs. Des musiciens professionnels top niveau ne pourraient pas les remplacer. J'ai déjà essayé, et ça n'a pas marché. Le garage rock, c'est comme un moteur qui tourne mal: impossible d'en reproduire le son lorsqu'on est trop éduqué musicalement. Ces gars-là ne font pas ça à temps plein, ils ont des familles, des jobs de jour. Lorsqu'ils sont avec nous, ils veulent vraiment jouer.»

Et lorsqu'ils jouent au sein de Chocolat, Jimmy et Manu leur confèrent une saveur spéciale sans les dénaturer.

Emmanuel Éthier: «Vous savez, il y a une "culture du beau" au Québec francophone: quand volontairement ça n'est pas léché, il faut tellement l'expliquer, surligner! Or, tu peux faire quelque chose qui a un esprit rétro et négligé, mais qui ne ressemble à personne. Ainsi, on a loué un gros studio pour créer un album qui sonne comme si on l'avait fait dans un garage. Consciemment, nous n'avons pas profité du plein potentiel de l'espace. Dès qu'une chanson nous semblait aboutie, on s'entêtait à la garder intacte.»

Selon son auteur, les mots de Tss Tss sont adaptés à ce contexte.

Jimmy Hunt: «Le propos peut être parfois un peu plus trash, et c'est la musique qui l'emporte. Les textes sont soignés, mais ils sont d'abord des prétextes pour jammer, un ciment pour que la musique se tienne. Ça peut être romantique, ça peut être vaguement mystique, il peut y être question d'apocalypse, de retour de l'ère glaciaire... Mais ce ne sont que des évocations, des ambiances, des climats au service du band. Cela peut faire relativement décousu, vague, l'impression globale demeure intéressante. J'ose croire que ce n'est pas plate!»

_______________________________________________________________________

ROCK. Chocolat. Tss Tss. Grosse Boîte.

L'album Tss Tss du groupe Chocolat.