À quelques jours du lancement de son nouvel album en français, Gregory Charles repart à la conquête du public anglophone. Avec son producteur Gilbert Rozon, c'est au prestigieux festival Fringe d'Édimbourg que l'énergique MusicMan plonge dans cette ambitieuse opération séduction.

«Je suis très rigoureux», lance Gregory Charles dans un étroit couloir derrière la petite scène où il vient de se prêter à des jeux musicaux avec un public consentant et enthousiaste lundi soir. Avant de se pointer à Édimbourg, l'artiste québécois a lu le poète national Robert Burns, écouté de la musique traditionnelle ou populaire d'Écosse (Average White Band) et s'est même farci des albums de Rod Stewart qui, tout Anglais qu'il soit, a des racines au pays de Sean Connery.

Pourtant, quand Charles et ses trois musiciens se sont mis à interpréter les demandes spéciales écrites des spectateurs, la colle de la soirée n'avait absolument rien d'écossais: Let's Make the Water Turn Black, une chanson obscure de Zappa et des Mothers parue en 1968. Le petit rigolo qui la réclamait n'était pas non plus un gars du coin, mais un visiteur du comté de Devon, dans le sud-ouest de l'Angleterre.

«On dirait qu'on s'en va à Devon», a aussitôt lancé un Charles embêté, qui avait promis que, s'il n'arrivait pas à chanter ne serait-ce qu'un petit bout de la chanson réclamée, il irait donner un concert privé gratuit dans la maison du demandeur.

Mais plutôt que de s'avouer vaincu, il y a réfléchi pendant qu'il interprétait la demande spéciale suivante (Safety Dance des Men Without Hats), avant d'entonner des bribes de la chanson de Zappa.

Il a ainsi gagné son pari.

Ce piège auquel il a échappé de peu a marché aussi fort que le reste du spectacle tellement les spectateurs ont rigolé. I l faut dire que Gregory Charles connaît tous les trucs du métier. Quand , au tout début de la soirée, il a proposé aux spectateurs venus également de France, des Pays-Bas et du Québec de lui suggérer une année dont il chanterait les grands succès, un homme dans la première rangée a lancé 1977. Pourquoi donc, monsieur ? À cause des Sex Pistols. «Qu'y avait-il d'autre en 1977 ? «, a aussitôt enchaîné Charles, pour qui l'hymne punk ne comptait manifestement pas parmi les succès de cette année-là. Il a plutôt retenu We Are the Champions, Hotel California, How Deep Is Your Love et une chanson de 1978, Copacabana. De la pop-rock classique à laquelle même les plus jeunes spectateurs répondaient en chantant en choeur et en tapant des mains ou en balançant les bras.

Ce public complice l'a même aidé en chantant à l 'unisson All I Want I s You de U2, que Giles lui avait demandée en précisant qu'elle jouerait à son mariage, mais dont Charles nous a dit qu'il ne l'avait jamais interprétée. Quand un autre spectateur lui a réclamé de vive voix du disco, il nous a offert une version sautillante de la chanson réclamée, Smile , de Charlie Chaplin, suivie de I Will Survive et d'Alexandrie Alexandra de Claude François . Il a également greffé des extraits de La Marseillaise et de Non, je ne regrette rien de Piaf à House of the Rising Sun que lui avait demandée un jeune Français.

Londres et New York d'abord

En s'installant à Édimbourg pour un peu plus de trois semaines , Gregory Charles et Gilbert Rozon veulent faire une percée dans le milieu anglophone en parallèle avec l'opération américaine lancée par un test à New York au début du mois et qui se poursuivra par un spectacle à l'hôtel Carlyle le 12 septembre. On se souviendra que Charles, alors appuyé par Aldo Giampaolo du Groupe Gillett, avait chanté au Beacon Theater de New York en 2004.

Voilà que, deux ans après un séjour de deux mois à Paris, Charles et le producteur Rozon, qui reconnaît s'inspirer de l'exemple de Céline Dion, se disent que, s 'i ls font une percée en Angleterre ou aux États- Unis, le reste du monde va suiv re. Le MusicMan se produit donc tous les soirs à 23 h dans une petite salle d'un immeuble de l'association étudiante de l'Université d'Édimbourg pouvant accueillir 200 spectateurs. «On va être contents si ça se termine à guichets fermés «, dit Rozon.

Pourquoi Édimbourg et non pas Londres ? « Il faut que la demande vienne de Londres et toute la presse anglaise vient à Édimbourg», explique Rozon, un habitué du grand festival écossais où il souhaite que son protégé retourne l'an prochain. « Mon partenaire Mick Perrin de Just For Laughs Live est prêt à investir pour deux ou trois ans «, dit-il. Jusqu'ici, Gregory Charles a eu droit à une critique élogieuse : 4 étoiles sur 5 dans un magazine consacré au festival, mais « les autres vont venir» assure Rozon, dont le principal problème consiste à exploiter au maximum les rares périodes de disponibilité de son artiste très occupé.

Tout de suite après Édimbourg, Gregory Charles lancera le 30 août son nouvel album, Quand j'ai dit, qui s'annonce plus rock, comme le laisse supposer le plaisir tangible qu'il a de jouer live avec son excellent trio : le guitariste Jean-Benoît Lasanté, le bassiste Jean- Bertrand Carbou et le batteur Samuel Joly.