Que retient-on d'entrée de jeu? Que Philippe Zdar, figure marquante de la «French touch» électronique dans les années 90, mixe et coréalise le sixième album studio de Matthieu Chedid sous la lettre M. Que Thomas Bangalter a participé aux séances de cette Lettre infinie. La moitié de Daft Punk à la rencontre de M... Daft M? On le constate à l'écoute de Superchérie, que Pharrell Williams pourrait fort bien porter en version anglaise. Les éléments disco-funk avec galbe électro et Auto-Tune décoratif se rapprochent ici de l'opus Random Access Memories et aussi de l'ancêtre Giorgio Moroder.

Cela étant observé, le principal intéressé ne porte pas un troisième casque de Daft Punk, pas plus qu'un chapeau de la «French touch». Vous vous doutez bien que l'aîné de la fratrie Chedid n'a pas perdu sa patte pour son sixième album en 22 ans - M à tout faire oblige, le musicien a travaillé sur tant de projets parallèles à sa carrière solo. Ainsi, tous les ingrédients connus concourent à faire lever la pâte - rock, funk, disco, power pop, afro-électro, ballades folk, harmonies typiques de la chanson française, on en passe. On observe en outre la participation du tandem percus-violoncelle Bumcello (Cyril Atef et Vincent Segal), de Pierre Boscheron dont les ambiances sonores émaillent l'enregistrement, du réalisateur Pierre Juarez qui a ficelé tout ça.

Renaissance? Métamorphose? Nouveau départ? Hum, pas exactement.

On ne peut conclure que M soit reparti à zéro, se soit surpassé dans l'innovation même s'il y ressent un nouveau départ en toute sincérité - ce qu'on peut lire dans les interviews accordées jusqu'alors. Les impressions de petites réformes et de nouveaux ornements l'emportent sur toute mutation, toute vague de fond.

Même éclectisme bienfaisant, même voix de contre-ténor, même compétence dans l'exécution... même M.

Quant aux textes, ils se présentent comme des correspondances intimes, missives où les choses du coeur et de l'amitié sont dites sans détour inutile. Dans cette optique, Matthieu Chedid s'adresse à son amoureuse Loïca Saint-M'leux Graziani (L.O.Ï.C.A.), à son adolescente Billie dont la voix est d'ailleurs récurrente dans Lettre infinie, à son chat ronronnant Happy (Thérapie), au pote Raphaël Hamburger et à ses défunts parents France Gall et Michel Berger, à qui M rend hommage (L'autre paradis), à un logiciel aveuglément chéri tel un veau d'or (Adieu mon amour), ou même à «grande Dame» Nature et ses écosystèmes mis en danger par l'humain (Logique est ton écho), à l'homme qu'il est, au fils qu'il est, au père qu'il est (Grand petit con), à la star pérenne pour son authenticité (L'alchimiste, signée Brigitte Fontaine), et ainsi de suite.

Pour l'auteur, il s'agissait de puiser dans le privé avec une certaine pudeur pour ainsi aborder des sujets universels. «Une lettre dans la lettre, en quelque sorte», dit la chanson...

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POP, CHANSON FRANÇAISE. Lettre infinie. M. Wagram/Sélect.