Jean-Pierre Ferland laisse derrière lui un legs immense, célébré par ses amis et collègues. Samedi soir, ils nous ont raconté l’influence de l’artiste, mais aussi la générosité de l’homme.

(Re)lisez « Jean-Pierre Ferland (1934-2024) : une chance qu’on l’a eu »

Pour les 95 ans de Gilles Vigneault l’automne dernier, un repas a été organisé chez lui par sa conjointe Alison Foy. Autour de la table, Yvon Deschamps et Judi Richards, Jean-Pierre Ferland et Julie Anne Saumur, et un couple d’amis de toujours, Robert Vinet et Kristine Belle-Isle.

« Je ne pense pas que Jean-Pierre nous reconnaissait, mais il savait qu’il était dans une bulle d’affection », nous a raconté Yvon Deschamps, de la Floride. « Il n’a presque pas parlé, mais il avait l’air tellement content. »

« Cette soirée était fabuleuse », nous confirme Judi Richards, qui a été choriste sur l’album Soleil en 1971. « Je venais d’arriver à Montréal. J’ai aussi fait des spectacles avec Jean-Pierre à la Place des Arts. On a eu tellement de fun, avec Monique Fauteux ! Quand j’écrivais mon premier album solo, il m’a beaucoup aidée pour les paroles. Il était d’une gentillesse incroyable. »

Yvon Deschamps et Judi Richards savaient que Jean-Pierre Ferland était à l’hôpital depuis quelques semaines. « Sa conjointe Julie Anne nous avait appelés pour nous avertir, dit M. Deschamps. Ce soir, vers 19 h, on était en train de souper, et j’ai ressenti un gros coup. J’ai dit à Judi : on mange, et Jean-Pierre est en train de mourir. Mais c’est mieux de célébrer sa vie que de pleurer sa mort. »

PHOTO RENÉ PICARD, ARCHIVES LA PRESSE

Yvon Deschamps et Jean-Pierre Ferland pendant le spectacle de la Saint-Jean-Baptiste de 1976

L’humoriste n’a pas connu Ferland personnellement avant qu’ils fassent ensemble le mythique spectacle 1 fois 5 en 1976. « Et on s’est rapprochés ces dernières années. Il me disait souvent : “Je t’aime, Yvon. » » Comme si ses barrières étaient tombées, ajoute Yvon Deschamps, qui se souvient d’un homme généreux qui l’a accueilli quand il s’est séparé momentanément de Judi Richards, il y a très longtemps. « J’étais tombé sur lui par hasard. Il n’a rien dit, il m’a emmené chez lui et m’a laissé dormir pendant 24 heures. Il était gentil. »

Pour Yvon Deschamps, Jean-Pierre Ferland a « upgradé » la chanson québécoise. « Il a réagi quand il a vu L’Osstidcho. Mais je dirais qu’ils se sont influencés les uns les autres. » C’est aussi ce que croit le producteur Paul Dupont-Hébert, qui connaissait M. Ferland depuis environ 50 ans, et qui travaillait de façon quotidienne avec lui depuis 25 ans.

« Oui, L’Osstidcho a été un électrochoc pour lui. Mais, souvent, les mouvements ne naissent pas seuls. Il y avait Charlebois, Dubois n’était pas loin… Jean-Pierre a su être un leader de cette nouvelle tendance. Il y a eu une étincelle, mais il a soufflé dessus pour que l’incendie de forêt prenne. »

Accompagner des générations

Paul Dupont-Hébert était un ami proche de Jean-Pierre Ferland, qui a chanté Une chance qu’on s’a à son mariage. « C’est la plus belle des chansons d’amour », dit le producteur, qui retient de M. Ferland la générosité avec les autres et avec le public… et aussi son côté clown. « C’était un conteur, un charmeur. Il était très drôle. Je vais m’ennuyer de lui, je passais deux fois par semaine chez lui. »

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Pierre Ferland reçoit un disque d’or pour son album Bijoux de famille en compagnie de Paul Dupont-Hébert, en 2009.

Jean-Pierre Ferland a été hospitalisé seulement pendant les six dernières semaines de sa vie, précise Paul Dupont-Hébert.

Il était conscient qu’il avait eu une belle vie, mais je ne pense pas qu’il savait à quel point son répertoire était important comme on le dit aujourd’hui.

Paul Dupont-Hébert, producteur

Et pourtant. L’animatrice Monique Giroux pèse à peine ses mots : « C’est un monument. Comme Brel, ou Ferré. Mais c’est Jean-Pierre, et pas eux. C’est rare qu’on se fait un prénom dans ce métier. Jean-Pierre, il n’y en a qu’un. »

C’est ce qu’elle retient, d’ailleurs, le grand amour qu’avait Jean-Pierre Ferland pour le public, pour l’autre et pour la vie. Et cet amour, le public le lui rendait bien. « Il aurait eu 90 ans en juin ! Ils sont rares, ceux qui ont accompagné autant de générations pendant aussi longtemps. »

C’est ce qui frappe aussi le réalisateur Pierre Séguin, qui était un grand ami de Jean-Pierre Ferland depuis le début des années 1980 : avec son grand instinct et son sens de la séduction, le chanteur a toujours su retomber sur ses pattes. « Pendant les années 1980 par exemple, quand les synthés se sont mis à être à la mode, il a commencé à faire de la télé comme animateur. Et puis quand il a senti que c’était assez, il est revenu avec l’album Écoute pas ça. »

Résultat, Jean-Pierre Ferland aura réussi à marquer chaque décennie depuis ses débuts, « ce qui est quand même rare », dit M. Séguin, qui se rappelle le grand conteur qu’était son ami.

C’était un monument de paroles et de musique, mais aussi un être fragile et sensible. Un monument sensible.

Pierre Séguin, réalisateur

Ce fils de garagiste né rue Chambord à Montréal aura eu une belle vie, croit son ami. « Il a eu la vie qu’il voulait. »

« Une leçon de carrière, d’amour, d’amitiés »

Dans un texte envoyé en soirée par l’entremise de sa boîte de communication, Ginette Reno a aussi rendu hommage à son Jean-Pierre Ferland, elle qui a su chanter ses mots mieux que quiconque.

« À chaque fois que quelqu’un que j’aime part pour l’autre côté de la vie, il y a toujours une partie de moi qui part avec lui. Prends ta guitare avec toi parce que lorsque j’arriverai, c’est certain que l’on va se mettre à chanter. Tu auras peut-être le temps d’en composer une nouvelle. Félix Leclerc disait : “C’est grand la mort, c’est plein de vie dedans.” En tout cas mon vieux, tu as vécu. Les plus grands moments de ma carrière, je les ai vécus avec toi. La montagne, les Plaines avec Céline… Merci, merci de tout mon cœur, de toute mon âme. Tu aurais pu être l’homme de ma vie. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Pierre Ferland et Ginette Reno en spectacle au Centre Bell, en 2003

De nombreuses personnalités politiques québécoises ont partagé leur tristesse face à la mort de l’auteur-compositeur sur les réseaux sociaux, dont François Legault. « Un grand bâtisseur de la chanson québécoise-française nous quitte », a écrit le premier ministre québécois, sur X, en soulignant les grands succès de Jean-Pierre Ferland comme Le petit roi, Je reviens chez nous et Une chance qu’on s’a. « J’ai écouté son album Jaune en boucle », a ajouté M. Legault.

Son œuvre perdurera certainement, si on en croit Émile Bourgault, 20 ans, gagnant du Festival de Granby l’an dernier, et qui vient tout juste de sortir son premier album. Le jeune auteur-compositeur-interprète était très ému quand on lui a parlé au téléphone en soirée samedi.

« Sans Jean-Pierre Ferland, je ne ferais pas ce métier. Quand j’ai appris sa mort, j’étais en train d’écrire sur mon balcon. C’est une roue qui tourne. Mon existence comme artiste et humain, elle découle de ce qu’il a fait. »

Mais que nous dit Jean-Pierre Ferland aujourd’hui ? « De toujours continuer à créer. C’est une leçon de carrière, d’amour, d’amitiés. » Et il est convaincu que dans 50 ans, on chantera encore des chansons de Jean-Pierre Ferland. « Le petit roi, Le chat du café des artistes… Il avait une vision créative, une façon d’écrire dans la simplicité et l’accessibilité. »

Samedi soir, avec ses amis, Émile Bourgault a écouté Une chance qu’on s’a en silence. « Je regarde le ciel, et je me demande où il est. »

Ils ont dit…

Nous perdons un artiste qui a marqué les esprits de plusieurs générations de Québécois. Sa voix et ses mélodies continueront de résonner dans notre âme, dans notre tête, malgré son départ.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Le départ de Jean-Pierre Ferland est une grande perte pour le Québec. […] Sa mémoire sera honorée pour toujours à la place des Fleurs-de-Macadam, sur l’avenue du Mont-Royal, dont le nom est tiré de l’une de ses chansons et où était située la station-service de son père.

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Un monument de notre culture s’est éteint. Merci Jean-Pierre Ferland pour cette contribution exceptionnelle à l’essor du pop rock québécois et à son rayonnement international.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

Jean-Pierre Ferland a fait chanter le Québec. Jaune a fait entrer la musique québécoise dans la modernité. Son legs est immense. […] Adieu Monsieur Ferland.

Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire

Un géant de la chanson québécoise nous a quitté aujourd’hui, Jean-Pierre Ferland. De Fais du feu dans la cheminée à Une chance qu’on s’a, il a profondément marqué l’imaginaire québécois depuis plusieurs décennies.

Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec

Le Québec vient de perdre l’un de ses grands chanteurs. […] Sa voix continuera de résonner à travers la francophonie pour encore longtemps.

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice