Après une longue absence, Philippe Brach a déployé de grands moyens pour rendre sur scène ses superbes compositions, lors du spectacle montréalais de sa tournée Les gens qu’on aime.

Philippe Brach ne manque jamais de fabriquer pour son public des spectacles qui restent dans les mémoires et dans les cœurs. Souvent, en plus de la performance musicale, tout ce qui se trouve dans la marge permet à Philippe Brach d’étonner son public, de le faire rire, de le divertir de la manière la plus décalée possible : des costumes, des personnages, de curieux moments tout droit sortis de rêves fiévreux.

Il y avait un peu de tout cela, samedi soir, lors du spectacle intitulé Mondo Delicatessen, à Montréal. Mais moins qu’à l’habitude. Cette fois, Brach a surtout misé sur la musique. Il a misé sur une livraison la plus magistrale possible de ses morceaux, dont les plus récents comportent moins de paroles, plus d’espace, et laissent justement la place à des déploiements instrumentaux.

PHOTO CAMILLE GLADU-DROUIN, FOURNIE PAR M POUR MONTRÉAL

Philippe Brach

Alors, plutôt qu’un décor éclaté ou une mise en scène théâtrale, il s’est entouré de musiciens. De beaucoup de musiciens. Un ensemble à cordes, trois guitaristes, une percussionniste, une batteuse (cernée de plus de cymbales qu’il n’en faut), un ensemble de cuivres et un autre à vents. Derrière le clavier, Gabriel Desjardins, qui signait les superbes arrangements, a aussi été chef d’orchestre.

Tout cela sur la scène du Métropolis (Philippe Brach se refuse à l’appeler MTelus), où le chanteur aurait peut-être été un peu à l’étroit… s’il ne s’était pas fait installer une passerelle à l’avant-scène, une « ego ramp » qui lui a permis d’être plus proche de la foule.

La passerelle a d’ailleurs été un bon outil pour un surprenant début de spectacle. Il a débarqué comme une supervedette, sur une chanson de Kid Rock. Un chapeau imitant un champignon orange sur la tête, mais aucun soulier aux pieds, une robe de chambre satinée sur le dos, par-dessus un complet gris bien ajusté : l’accoutrement n’avait pas vraiment de sens, mais il en jetait. Avec une attitude arrogante inventée, il s’est mis à parler en anglais, tandis que la foule l’acclamait et que des jets de flammèches rendaient la scène un peu plus ostentatoire encore.

Puis Brach est redevenu Brach et a fait une confidence à son public : à la base, il préparait un autre de ses shows-concepts, il était censé porter un « outfit de vedette », agir comme « un tas de marde tout le long » et « envoyer tout le monde chier ». Le but était de faire une critique du vedettariat, quelque chose comme ça. Mais il s’est rendu compte il y a quelques semaines que « la vibe n’est pas à ça ».

Après une longue absence, l’auteur-compositeur-interprète a promis « deux-trois niaiseries à venir », mais surtout un spectacle dans lequel il a mis de l’amour.

Grandiose… mais épuré

Le spectacle a débuté avec Crystel. Et dès lors, on a senti l’amour dont il a parlé, tout le soin qui a été mis dans ce spectacle. Il a enchaîné sur Last Call.

Chaque fois, et comme ce sera le cas très souvent dans la suite du spectacle, les musiciens qui l’accompagnaient ont élevé les morceaux, ont grandiosement traduit cette complexité qui menace parfois de s’estomper en live, mais qui, ici, a plutôt été décuplée.

Né pour être sauvage, Nos bleus désirs, Tic Tac, Alice, Mes mains blanches… Brach présente dans ce spectacle une vingtaine de chansons tirées de tout son répertoire, dans un enchaînement bien réfléchi, une mise en scène dépouillée, mais efficace, cosignée par Philippe Brach et Nicolas Ouellet. La conception d’éclairages de Sébastien Pedneault est géniale tout au long.

Malgré tout ce déploiement instrumental, cette force d’exécution qui ravit et épate, on observe une certaine sobriété dans ce spectacle qu’a bâti Philippe Brach, probablement parce que nous avons ses prestations déjantées de la dernière décennie comme comparatif. On en prend plein la vue, mais pas à force d’artifices, plutôt grâce à la qualité de l’interprétation, simplement. Ses récents albums permettent de longs moments qui n’appartiennent qu’aux musiciens autour de lui et qui créent de splendides envolées. Par exemple, au moment de La peur est avalanche ou de Soleils d’automne, où la guitare acoustique et l’orchestre cohabitent avec grâce et panache. Les instruments font tout également sur Tu veux te tuer, c’est bien ça ?, où Brach livre les trois déchirantes phrases de la chanson couché sur la scène.

PHOTO CAMILLE GLADU-DROUIN, FOURNIE PAR M POUR MONTRÉAL

Philippe Brach et Anna Frances Meyer

Brach est toujours très drôle lorsqu’il s’adresse à la foule. Il se permet aussi d’être critique à travers ses blagues, comme lorsqu’il souligne que le prix des drinks au bar est « moins pire que les frais d’administration des billets » et remercie ensuite avec grand sarcasme l’entreprise Ticketmaster. Il prend également le temps de remercier Karl Tremblay et Les Cowboys Fringants, les premiers qu’il a vus en spectacle, trois soirs de suite d’ailleurs, et qui l’ont mené à jouer lui aussi.

Lorsqu’il chante, il est captivant. Sa voix est maîtrisée, il est agile dans son interprétation. Quand il n’a pas de guitare dans les mains, il déambule gaiement en chaussettes sur la scène, nous donne envie à nous aussi d’agiter notre corps sans retenue au son de la musique.

Il avait garanti deux ou trois niaiseries. Le moment où Anna Frances Meyer (membre des Deuxluxes) le remplace pour interpréter Et c’est pas fini, sans explication aucune, correspond plutôt bien au genre de « niaiseries » que Brach aime amener dans ses performances. De retour sur scène, il nous dit que la chanson est une prédiction pour l’avenir : « si vous pensez que ça chie, ce n’est pas fini, ce n’est qu’un début », lance-t-il en riant, fidèle à ce côté pessimiste qu’on lui connaît.

Une demande en mariage, quelques jets de flammèches, de longs remerciements, un rappel où tout le monde reste à sa place parce qu’il serait trop long de tous sortir de scène, puis un second rappel plus tard, c’est la fin. Et en quittant le MTelus, on sentait encore tout cet amour insufflé au spectacle. Cet agréable sentiment que seuls les grands artistes nous donnent.

Philippe Brach est en concert au Québec jusqu’en juin 2024.

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