La popularité des Cowboys Fringants dépasse de loin les frontières du Québec : que ce soit en France, en Belgique ou en Suisse, la dépêche annonçant la mort de Karl Tremblay a été reprise par la majorité des médias d’information francophones. Et les fans de l’autre côté de l’Atlantique ont été nombreux à témoigner de leur peine.

« J’ai su la nouvelle mercredi à 23 h. J’ai eu du mal à trouver le sommeil après », nous confie Frédéric Vautier, de Rouen, qui a découvert le groupe en 2003 grâce à un ami québécois. L’homme de 46 ans fait partie des Cousins Fringants, association de fans qui suit les Cowboys en Europe depuis 20 ans.

« Je les ai vus entre 15 et 20 fois, en France, en Belgique, en Suisse. » La dernière fois, c’était en février 2022 dans un Paris-Bercy complet… ce qui signifie 17 000 personnes !

Du Québec, on mesure mal à quel point Les Cowboys Fringants sont populaires en Europe francophone. Sans faire de pub, sans jouer à la radio, ils réussissaient à remplir les grands arénas à chacun de leur passage, à coup de plusieurs milliers de personnes par soir.

« Leurs albums se suffisaient à eux-mêmes. Bercy, ils auraient pu le remplir trois soirs », souligne Frédéric Vautier.

L’autrice-compositrice-interprète Catherine Durand était justement à Bercy lors du concert de 2022. La guitariste québécoise a suivi le groupe pendant deux tournées européennes comme accompagnatrice de la Cowboy Marie-Annick Lépine, qui assurait la première partie avec ses propres chansons.

« Ils avaient la grande générosité de me laisser une place sur Les étoiles filantes à la fin. Je savais qu’ils étaient populaires, j’avais vu passer des photos de leurs concerts en Europe. Mais de voir ces gens qui chantaient toutes leurs chansons, entendre les Français avec leur accent qui chantaient des paroles full queb comme celles de Mon chum Rémi : “Le gros, donne-moé tes clés / Tu pètes la balloune / T’es bin trop paqu’té / Pour chauffer ta minoune”Ils se sont complètement approprié leur répertoire. »

Popularité croissante

De son poste de directeur du Paléo Festival de Nyon, en Suisse, Daniel Rossellat a vu de près la progression des Cowboys en Europe. Il les a invités trois fois chez lui : en 2006 « alors qu’ils n’avaient pas la même notoriété », en 2011, puis en 2019, lors d’un mémorable concert sur la grande scène devant 40 000 personnes.

« Nous avons 5500 bénévoles qui travaillent pendant notre festival. Chaque fois, à la fin, on fait un sondage pour savoir quel a été leur concert préféré. Cette année-là, ç’a été les Cowboys, parce qu’ils étaient vraiment dans l’esprit du festival. »

PHOTO LIONEL FLUSIN, FOURNIE PAR LE PALÉO FESTIVAL

Les Cowboys, devant une mer de fans, en 2011, au Paléo Festival de Nyon, en Suisse

Il souligne qu’en plus de ses passages au Paléo, le groupe était aussi en mesure de remplir régulièrement le Geneva Arena, qui compte 8000 places.

Ils sont rares, les artistes québécois qui peuvent faire ça. J’exclus ici Céline Dion.

Daniel Rossellat, directeur du Paléo Festival de Nyon

L’image qu’il retient du groupe, c’est justement celle du public qui chante à l’unisson, l’énergie positive et les émotions fortes qu’ils faisaient vivre aux spectateurs. « Il y avait de la complicité. Et Karl, il était accessible. On sentait qu’on pouvait être proche de lui. »

Rendez-vous manqué

Les Cowboys avaient beau faire courir les foules, le deuil est quand même plus « intime » pour leurs fans européens que pour les Québécois, souligne Sophie Biger, qui vit à Rennes. « Ce ne sont pas tous les gens autour de nous qui les connaissent, comme chez vous », explique l’institutrice de 46 ans. Elle est allée les voir en spectacle cinq ou six fois depuis le début des années 2000. Elle les aime pour le message, pour la musique qui la fait parfois « sautiller » toute seule chez elle.

« Un concert des Cowboys, ça se vivait. C’était inconcevable de prendre des places assises ! » Elle nous dit ensuite, la voix étranglée par l’émotion, qu’elle-même a perdu son frère il y a un an, atteint d’un cancer du cerveau. « Karl nous manque, mais on pense aussi au côté humain, aux proches. »

Les spectacles des Cowboys Fringants prévus en Europe cet automne avaient été reportés, et toutes les personnes à qui nous avons parlé jeudi espéraient pouvoir enfin les retrouver au printemps 2024. C’est le cas d’Isabelle Lefebvre, une fan récente, qui n’avait jamais entendu parler d’eux avant qu’un collègue lui donne des billets pour le concert de Bercy en 2022.

Ce qui m’a touchée à la base, c’est cette osmose entre les Cowboys et le public. Je suis une habituée des concerts, mais là, c’était différent, on aurait dit une famille, une famille qui m’avait adoptée. Les gens chantaient, dansaient, ne faisaient qu’un. C’était poignant.

Isabelle Lefebvre

Elle espérait donc les revoir au Zénith en juin 2024, question de témoigner son affection à Karl. « Il va me falloir quelque temps pour faire mon deuil. C’est comme si j’avais débuté une relation avec les Cowboys et que soudain tout s’écroulait. »

C’est aussi ce que ressent Morgane Trioreau, 17 ans, qui a découvert le groupe l’an dernier. Elle devait aller les voir pour la première fois de sa vie à Lille en avril, et comptait les jours d’ici là.

« Depuis un an, leurs chansons sont rentrées dans mon quotidien. Il n’y a pas une journée où je ne les écoute pas. »

Ici comme en Europe, Karl Tremblay laisse comme trace sa prestance, sa joie de vivre, sa générosité. « Les textes des Cowboys me touchent particulièrement et même si ce n’est pas lui qui les a écrits, c’est lui qui leur donnait vie », dit Nolwell Ruello. La femme de 39 ans, qui vit à Lyon, est tombée « les deux pieds dans les Cowboys » il y a 15 ans et les a vus près d’une dizaine de fois en concert. « J’ai l’impression d’avoir perdu quelqu’un qui compte. »

Consultez notre dossier sur la mort du chanteur