Allison Russell lutte pour la justice sociale dans tout ce qu’elle fait. Sa musique est une des facettes de son engagement, porteuse aujourd’hui d’une création faite en communion avec 16 autres femmes, mais porteuse également d’un potentiel point de rencontre entre ceux qui ne se comprennent pas. La Montréalaise présentera vendredi The Returner, le fruit d’un travail qui se veut rassembleur et lumineux.

Le spacieux appartement où elle nous accueille, juste au sud de la rue Sherbrooke à Montréal, ne laisse pas entrer beaucoup de lumière. Mais Allison Russell elle-même est rayonnante. Son aura est magnétique, l’atmosphère change lorsqu’elle entre dans la pièce. Toujours souriante, elle est généreuse de son temps et dans ses confidences.

Son deuxième album solo est une extension de cette lumière qu’elle porte en elle. Sur ce disque plus dansant que le précédent, la Montréalaise parle de guérison et de résilience, d’émancipation, de la réalité des personnes noires, de l’esprit de communauté, de queerness, dans des textes en anglais, mais aussi en français.

Allison Russell tient à son français, nous dit-elle, lors d’un bref passage au Québec cet été. Pendant l’heure durant laquelle nous discutons (de musique, mais aussi d’engagement social, de son attachement à Montréal, de sa vie à Nashville), elle prend plusieurs fois le temps de chercher sur l’internet le bon terme en français pour exprimer sa pensée. Lorsque nous lui offrons des suggestions de mots, elle les prend en note sur son cellulaire.

« Je pratique quand je peux quand je suis en tournée, dit-elle. Juste d’écrire en français, de lire en français. Quand j’étais toute petite, on était à Verdun, c’était francophone, alors ça a été une grande partie de mon enfance et ça a fait partie de mon évolution comme artiste, comme être humain, comme femme. C’est pour ça que c’est important pour moi d’essayer de le garder. »

Lutter de toutes les façons

Pour l’artiste, les préjugés contre la langue ont la même teneur que ceux « liés à la couleur de peau ou à l’orientation sexuelle ». Et Allison Russell est de ces personnes pour qui se battre contre les injustices, la discrimination, est un enjeu de la plus haute importance. Elle est de ces artistes pour qui la création est un canal pour cette lutte qu’elle porte au quotidien. Elle n’écrit pas des chansons souvent protestataires, mais elle est bien consciente de ce que sa musique peut accomplir.

Je vois la haine comme une maladie. Avec la musique, on peut toucher une personne qui a peur, qui est consumée par la haine, et ça peut lui permettre de nous voir un peu plus comme des humains égaux à elle. Elle peut permettre qu’on se sente ensemble.

Allison Russell

Elle poursuit : « Quand on a cette connexion à travers les arts, quand on est ensemble à un spectacle, ça permet de regarder les autres et de se sentir plus comme eux, de s’ouvrir à la compassion. »

« Nous sommes tous connectés entre êtres humains, mais il y en a qui l’oublient, ajoute-t-elle. On a créé ce disque dans un cercle très queer, avec des gens de toutes sortes de croyances et de toutes sortes d’origines, mais avec le même amour radical. Si des gens trouvent une familiarité dans ces histoires personnelles, j’espère que ça peut avoir le pouvoir d’enlever leurs œillères. »

Lorsqu’on lui parle de sa musique, chaque sujet dévie inévitablement vers des observations franches sur les divisions politiques et sociales, la misogynie ambiante, les enjeux environnementaux aussi, et, de manière générale, son souhait de voir nos sociétés entrer en communion plutôt que se déchirer. Tout la ramène à ça.

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Retour au présent

Pour que sa fille puisse s’imprégner des cultures québécoise et canadienne, mais aussi parce que Montréal reste « chez elle », Allison Russell a toujours tenu à revenir le plus souvent possible. Mais depuis la parution de son premier album solo, Outside Child, les choses ont bien changé pour l’artiste montréalaise désormais établie à Nashville. Elle a été nommée trois fois aux prix Grammy, elle est sur la route la majeure partie du temps, si elle n’a pas d’autres engagements liés à sa musique ou à ses projets pour la justice sociale, notamment la lutte pour les droits de la communauté LGBTQIA2+.

Elle a notamment organisé au printemps dernier un grand concert-bénéfice, Love Rising, auquel ont participé Hayley Williams, Sheryl Crow et Jason Isbell, au profit de fondations pour les droits des personnes queer.

Au cœur de la belle frénésie des dernières années, elle a donné vie à The Returner.

L’album s’inscrit dans une trilogie généalogique qu’Allison Russell avait en tête dès la conception du premier disque, Outside Child. « Pas besoin d’écouter le premier pour passer au deuxième, mais dans mon cœur, c’est comme ça que ça s’est fait. Outside Child était ma façon de transcender le traumatisme de mon enfance à travers l’art, grâce à ma famille choisie. C’est ce qui m’a sauvée. »

The Returner est plutôt une ode au présent, le retour vers le bonheur.

C’est le moment où j’ai trouvé la joie, dans la résistance, dans la communauté, dans cette coalition arc-en-ciel qui résiste aux hiérarchies.

Allison Russell

D’ailleurs, pour faire ce disque, Russell a travaillé « en cercle », sans hiérarchie. « C’est une chose difficile, c’est salissant, c’est un processus où il faut confronter notre propre démon et celui des autres, dit-elle. Il faut s’asseoir dans l’inconfort, mais le chemin est ensoleillé quand même. »

Allison Russell s’est assise avec 15 autres femmes, dont ses idoles Wendy et Lisa (des collaboratrices de Prince), et trois « frères choisis », dont son mari, le musicien et réalisateur JT Nero (Jeremy Lindsay). En six jours de communion, durant le solstice d’hiver, en décembre 2022, ils ont créé les dix pièces qui forment The Returner dans le mythique studio A&M (maintenant nommé Henson), à Los Angeles (là où Joni Mitchell a enregistré Court and Spark et Blue, où Carole King a créé Tapestry).

« J’adore la collaboration, c’est comme ça que je suis le plus inspirée. L’addition est plus grande que l’individualité. Il y a une certaine magie. C’était 16 âmes, 6 jours, et c’était complètement magnétique. Certaines de mes héroïnes d’enfance sont devenues mes grandes sœurs, c’est un miracle dont je suis tellement reconnaissante. »

Écrire ses mémoires

Maintenant que The Returner existe, Allison Russell pourra (tenter de) mettre un peu plus de temps sur l’écriture de ses mémoires, qu’elle sortira avec la grande maison d’édition Flatiron Books. « Ça me botte le cul d’essayer d’écrire ce livre, lance-t-elle. Je l’ai terminé aux trois quarts, mais je veux raconter toute mon histoire et le plus difficile, c’est de retourner à mes premières années de vie. »

Lorsque nous l’avons rencontrée, pendant l’été, elle prévoyait déjà revenir à Montréal pour faire réémerger les images de son enfance. Une enfance profondément difficile, durant laquelle elle a subi des violences sexuelles de son père adoptif raciste. « Je veux trouver ma famille d’accueil, que je n’ai pas vue depuis 20 ans. Je parle beaucoup avec des amis de mon primaire et de mon secondaire. »

Le projet est en marche. En même temps, elle écrit « tous les jours » des chansons. Ce qu’elle fait même sur la route, contrairement à la rédaction du livre, qu’elle devra terminer dans un moment d’accalmie.

Dans tout cela, comment va-t-elle ? La question conclut notre longue discussion durant laquelle elle nous a beaucoup parlé de ses inquiétudes face à l’état du monde, mais aussi de son espoir. Après un temps de réflexion, elle nous explique se sentir dans « l’urgence d’utiliser [ses] mots pour essayer de rendre les choses un petit peu mieux ». « Il faut bâtir un meilleur monde de toutes les façons que l’on peut. Avec nos chansons, notre communauté, notre joie. Avec tout ce qu’on peut. »

Consultez le site d’Allison Russell (en anglais)
The Returner

Funk groove

The Returner

Allison Russell

Fantasy Records
En vente le vendredi 8 septembre