« Ça va être une longue, longue soirée », a promis Dave Grohl au début du spectacle des Foo Fighters lundi à l’Auditorium de Verdun. Promesse tenue et pourtant, personne n’aurait souhaité que ce moment béni de rock, aussi bien dire ce moment béni de vie, ne se termine.

« I’m just waiting to be rescued, bring me back to life », chante Dave Grohl dans Rescued, moment fort du plus récent album des Foo Fighters, But Here We Are. Lundi soir, c’était un peu comme si l’Auditorium de Verdun parlait à travers la voix de l’icône du grunge et réclamait d’être ramené à son ancienne vie rock, celle de la première visite de Grohl dans la shed du sud-ouest de Montréal, en novembre 1993, à l’époque où il officiait derrière les cymbales pour Nirvana.

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Moins de 4000 chanceux et chanceuses faisaient partie de la foule, lundi, pour ce concert historique.

Ramener à la vie l’Auditorium de Verdun, là où se sont écrites dans la boucane, la sueur et les décibels certaines des plus importantes pages du métal et du rock alternatif ? Nous étions 3763 lundi soir à vouloir contribuer à cette résurrection.

« Je n’ai pas mis les pieds ici depuis un astie de temps », a lancé Grohl à la foule après la troisième chanson (Learn to Fly), en se rappelant la dernière visite des Foo, en 2003, dans l’aréna où bien des quarantenaires et cinquantenaires n’avaient eux aussi pas mis les pieds depuis longtemps, si ce n’est que pour accompagner leurs marmots, le samedi matin, trop tôt, pour un entraînement de hockey.

Résurrection. Le mot ne décrit peut-être pas tout à fait l’idée maîtresse de la tournée actuelle des Foo Fighters, bien qu’il y ait assurément dans cette première virée depuis la mort tragique du batteur Taylor Hawkins, en mars 2022, quelque chose d’une nouvelle vie. Ou, du moins, le désir, chez chacun des survivants, d’honorer la disparition du plus sémillant des membres de leur groupe en arrachant à chacune de leurs minutes passées sur scène tout ce qu’elles peuvent contenir de jubilation et d’intensité.

Dave Grohl n’a jamais été du genre à retraiter vers le vestiaire en permettant à ses fans de douter de sa dévotion, le quinquagénaire appartenant à l’école Springsteen des performeurs qui laissent tout sur scène, et encore plus. Mais lundi, le chanteur de 54 ans avait manifestement trouvé une autre réserve d’énergie sous toutes celles, innombrables, dont il dispose habituellement.

Être chanceux

Immodéré, Dave Grohl est aussi un musicien ayant un sens aigu de l’histoire du rock, et il a souvent parlé en entrevue de son admiration pour la formation thrash métal de Jonquière Voivod. Une admiration qu’il a réitérée lundi en appelant Voivod « un de ses groupes préférés de tous les temps » et en dédiant au batteur Michel « Away » Langevin une version particulièrement poignante de My Hero (rien de moins). Les yeux d’aucun métalleux ne sont demeurés secs et Michel Langevin, assis dans les gradins près de la scène, avait au visage son irrésistible sourire d’éternel gamin. « It’s good to see you, Michel. »

C’est tout le monde en fait qui, sur scène comme dans la foule, avait aux lèvres ce sourire incrédule des grandes occasions. « Vous êtes fuckin’chanceux, ça va être malade », avait annoncé en début de soirée Raphaëlle Chouinard, chanteuse et guitariste des Shirley, trio montréalais qui a fait la preuve que des choses merveilleuses l’attendent, mais qui ne semblait toujours pas en revenir d’avoir été invité par les Foo – la banane de la batteuse Lisandre Bourdages était visible jusqu’à l’arrière.

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Raphaëlle Chouinard

Il faisait moins chaud à l’Auditorium de Verdun qu’au soir de la visite de Rage Against the Machine en 1996, la clim roulant désormais à fond. Le prix de la bière était, lui, beaucoup plus élevé. Tout avait changé, mais rien n’avait changé. Parce que c’est bien connu : les fantômes qui habitent un lieu sont d’abord et avant tout la manifestation de ce que notre mémoire veut bien y projeter. Et lundi, à l’Auditorium de Verdun, nous étions 3763 à croire à cette belle idée : le rock est autant une affaire de musique que de souvenirs et de moments partagés. Les deux chansons offertes par Grohl avec sa fille Violet, 17 ans, n’en étaient qu’une des nombreuses preuves.

Personne ne sait mieux que les six membres des Foo Fighters à quel point monter sur scène chaque soir est une chance, un privilège. Près de 30 ans après sa fondation, le groupe a désormais les allures d’un bataillon de survivants du rock, le guitariste Chris Shiflett ayant joué dans No Use for a Name, le bassiste Nate Mendel avec Sunny Day Real Estate et le claviériste Rami Jaffee avec les Wallflowers.

Voir Dave Grohl et Pat Smear malmener leur six-cordes, nez à nez, trois décennies après la mort de leur ami Kurt Cobain, ne devrait jamais cesser de nous émouvoir.

Josh Freese, l’inébranlable recrue derrière la batterie, a quant à lui joué avec trop de groupes (Guns N’Roses, A Perfect Circle, The Vandals) pour les énumérer tous, mais a mérité lors de sa généreuse présentation un bout de Whip It, le giga tube new wave de Devo, une autre formation dont il a fait partie. Suivrait un bref passage de Haven’t Met You Yet, parce que oui, c’est aussi Freese qui tient la batterie sur ce succès de Michael Bublé.

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Que dire de l’énergie de Dave Grohl, sinon qu’elle est toujours à son apogée ? À l’arrière-plan, le batteur Josh Freese.

À bien y penser, les Foo Fighters avaient peut-être moins choisi l’Auditorium de Verdun par bête nostalgie que pour nous rappeler que tous ceux que nous avons perdus vivront en nous tant et aussi longtemps que nous raconterons leurs histoires, ce que les mélomanes d’un certain âge ont tous fait au cours des dernières semaines en régalant leurs enfants (plus ou moins consentants) du récit de leurs plus belles soirées dans l’aréna où sont passés tous les grands de la musique assourdissante.

« À travers les années, je me suis fait plusieurs très bons amis à Montréal », a rappelé Dave Grohl en fin de course, avant d’entonner Aurora, la chanson préférée de Taylor Hawkins, qu’il lui dédie chaque soir au cours de cette tournée, et qu’il a aussi dédiée lundi à son amoureuse d’une autre époque, la légendaire musicienne montréalaise Melissa Auf der Maur.

Lundi soir à l’Auditorium de Verdun, tous nos amis étaient présents. Même ceux qui ne sont plus parmi nous.