Après une semaine de vadrouille jazz, nos reporters livrent leurs impressions

Lisez le compte-rendu de Claude Côté

Le Festival de jazz est comme un gros supermarché. On trouve de tout, pour tous les goûts. Il y a une allée pour le jazz, une autre pour le blues, une autre pour les musiques du monde, une autre pour la pop.

Il suffit de déambuler avec son panier et de se servir.

L’image peut sembler sarcastique. Elle ne l’est pas. La diversité de l’offre peut avoir un côté fourre-tout. Mais l’avantage, c’est qu’on est rarement déçu, surtout avec une telle qualité, en salle comme à l’extérieur.

Tout cela pour dire qu’après une semaine de « shopping », on a bien rempli notre panier, même si certains produits nous ont semblé moins frais que d’autres. Bilan provisoire, en ce week-end de fermeture.

Au rayon des produits africains, merci au vieux claviériste éthiopien Hailu Mergia, qui connaît un second souffle à l’âge de 77 ans. Son concert de fin d’après-midi à la scène Loto-Québec n’était pas le plus enlevant, mais le groove « éthiopique » a pris sa place.

Au rayon des surgelés, le vieux Kenny « Blues Boss » Wayne nous a stupéfié d’ennui à la scène Rogers. Son veston flamboyant valait le détour, mais son boogie générique nous est entré dans une oreille et nous est sorti par l’autre. On a fui aux premiers accords de Blueberry Hill, le classique le plus pantouflard de l’histoire du rock.

Au rayon végétalien, Sam Gendel s’est montré à la hauteur de ses expérimentations sur YouTube. Son sax tronqué, aux sons numériquement trafiqués, ouvre d’intéressantes perspectives pour la suite du jazz. Mais son côté planant n’était peut-être pas idéal dans le contexte du Studio TD.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Adriana Flores, du quatuor The Altons

Au rayon du ketchup et des viandes à burger, petit coup de cœur pour le quatuor américain The Altons. Son soul rock graisseux et lancinant, surgi des années 1960 et 1970, ne réinvente pas la roue. On pense à Curtis Mayfield, à Sam Cooke, au groupe Redbone. Mais les chansons sont sincères et interprétées avec cœur. Ils semblaient tout petits sur l’immense scène TD. On aimerait bien les revoir dans une petite salle.

Au rayon des produits fins du monde arabe, on a savouré la prestation de l’Anouar Brahem Quartet, au Théâtre Maisonneuve. Une performance soyeuse, sobre, d’une grande précision. L’oudiste laisse beaucoup de place à son souffleur Klaus Gesing (sax alto, clarinette basse). Ce qui ne l’empêche pas de briller discrètement, avec ses notes en cascade et son chant lointain. Une belle conversation, menée comme un murmure. Concert clairement rodé. Mais peu de place aux surprises. Petite impression de pilote automatique.

Au rayon des spiritueux, la harpiste Brandee Younger nous a conquis d’entrée de jeu. On ne redira pas l’originalité de cet instrument dans un contexte jazz. Émule d’Alice Coltrane et de Dorothy Ashby, la musicienne a trouvé le bon équilibre entre douceur et groove. Ses mélodies angéliques pourraient facilement tomber dans l’eau de rose. Ce n’est jamais le cas, merci au bassiste Rashaan Carter et au batteur Allan Mednard, qui se chargent de ramener le tout au niveau du bas-ventre. Converti en club de jazz, le Studio TD était absolument silencieux. Grande qualité d’écoute pour un moment privilégié.

Au rayon des fruits exotiques, Marisa Monte a créé l’évènement à la salle Maisonneuve, transformée pour deux soirs en théâtre du peuple. Mi-Reine des Neiges, mi-Virgen de Guadalupe, la diva pop brésilienne avait tout d’une apparition. Son public montréalais la réclamait depuis plus de 25 ans. Elle lui a donné tous ses tubes et un bon spectacle de surcroît, avec ses robes à paillettes, son sourire des années 1920, ses gestes de sirène. Irrésistible, comme ses chansons. Mais un peu surprise, comme nous tous, devant la lenteur du personnel à réagir, lorsqu’un spectateur s’est trouvé mal. Étrange parenthèse au milieu d’une soirée heureuse.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le duo Domi & JD Beck

Au rayon des jujubes au THC, applaudissements nourris au duo Domi & JD Beck, qui s’est offert la grande scène TD mercredi soir, après avoir assuré la première partie d’Herbie Hancock la veille, à Wilfrid-Pelletier. Elle a 21 ans, il en a 19. Ils semblent sortis d’un décor de cosplay. Mais leur musique, résolument jazz-rock, tranche complètement avec leur univers visuel. Comme si Weather Report rencontrait les Teletubbies. Humour étrange (elle est assise sur une cuvette géante, avec le PQ qui pend), virtuosité totale (elle au synthé, lui à la batterie). Ces deux-là nous ont surpris par leur assurance et leur univers – exigeant néanmoins.

Au rayon des champs de céréales minés, merci au groupe ukrainien DakhaBrakha, qui a ému le Club Soda mercredi soir. Entre blues et folklore d’Europe de l’Est, le quatuor a livré ses chants de la résistance sur fond de projections douloureuses, comme un rappel de leur guerre dans l’insouciance de notre festival. On ne pouvait que les soutenir et les aimer.

Au rayon des réclamations, enfin, rêvons d’un festival avec distribution de Boules quies (cet enfant qui pleurait au concert de Mezerg faisait peine à voir) et des commanditaires moins en évidence.

Et pourquoi pas une prise de position politique, même minime ? Le FTA a désormais pris l’habitude d’amorcer ses spectacles en reconnaissant que Montréal était sur des territoires autochtones non cédés.

Le Festival de jazz devrait-il suivre l’exemple ?