Foo Fighters aurait aisément pu remplir le Centre Bell. Pourquoi la formation a-t-elle préféré réveiller les fantômes rock de l’Auditorium de Verdun ? Parce que son leader Dave Grohl a le sens de l’histoire. La relation de l’ancien batteur de Nirvana avec Montréal ne date pas d’hier.

Le 20 décembre 1987, il tombait sur Montréal, raconte-t-on, une de ces tempêtes qui surprennent chaque année les Québécois, doués pour vivre dans le déni de l’inévitable retour de l’hiver.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

L’Auditorium de Verdun

Nick Farkas organise ce dimanche-là dans l’ancien Club Soda (sur l’avenue du Parc) un spectacle de Scream, formation hardcore de Washington, D. C., au sein de laquelle avait été recruté en 1986 un jeune batteur de 17 ans, Dave Grohl.

De quoi se souvient Nick Farkas ? D’avoir perdu pas mal d’argent, parce que la neige avait confiné bien des punks rockeurs à domicile. Heureusement que les membres de Scream avaient pu dormir au sous-sol de la maison familiale de son ami et futur partenaire dans Greenland Productions, Paget Williams.

« Mais ce dont je me souviens surtout », poursuit Nick Farkas, aujourd’hui vice-président concerts et évènements chez evenko, « c’est à quel point j’avais été bouleversé, parce que Dave était déjà tellement un bon batteur, il frappait tellement fort, c’était une machine. Habituellement, je regarde le chanteur ou le guitariste, mais là, je n’avais regardé que lui ».

Adepte de la réciprocité punk, Grohl accueillait à son tour ses amis montréalais lorsqu’ils étaient de passage chez lui, en Virginie, et ce, peu importe qu’il soit sur la route ou non.

Virginia, la mère de Dave, nous laissait coucher chez elle, même si Dave n’était pas là. Et je te le dis : ce n’est pas toutes les mères qui auraient accueilli une gang de gars qui roulent depuis 10 heures et qui n’ont pas pris de douche.

Nick Farkas

Toujours sauvages

Dave Grohl visitera à nouveau Montréal avec Scream à au moins deux reprises, le 9 juin 1989 et le 19 juin 1990, aux Foufounes Électriques, avant que le groupe ne se dissolve. Il n’était donc pas du spectacle de Nirvana dans ce même mythique bar le 17 avril 1990 – Chad Channing officiait encore derrière les cymbales –, mais s’y trouvait le 21 septembre 1991, trois jours avant la sortie de Nevermind, pour une soirée à laquelle plus de représentants de la génération X prétendent avoir assisté qu’il n’y avait réellement de spectateurs dans la salle (environ 300).

PHOTO OLI SCARFF, AGENCE FRANCE-PRESSE

Dave Grohl sur scène à Glastonbury, le 23 juin dernier

« On était toujours accueillis à bras ouverts par notre famille étendue de gens bizarres et de geeks », écrit Dave Grohl à propos de Montréal dans son autobiographie intitulée Toute mon histoire.

Le hasch était bon, les filles étaient mignonnes et les shows, toujours sauvages […]

Dave Grohl, à propos de Montréal dans son autobiographie

« Quand l’agent des Foo Fighters nous a demandé si on faisait encore des shows à l’Auditorium de Verdun, je suis parti à rire », lance Nick Farkas, d’evenko. The Darkness est le dernier groupe d’envergure à y avoir branché ses amplis, le 22 juin 2004, la vétusté des installations rendant l’aréna du Sud-Ouest de moins en moins accueillant.

Bien que la demande ait quelque chose d’étonnant (et d’attendrissant), le désir de Dave Grohl d’ainsi honorer sa longue relation avec Montréal, dans un lieu relativement intime (4000 places), s’inscrit dans une riche série de projets et d’évènements dignes d’un homme ayant le sens de l’histoire (d’où le gaminet des Foufs qu’il a arboré sur scène en 2019). Il est après tout celui à qui l’on doit un documentaire sur les légendaires studios Sound City de Los Angeles (Sound City) et un autre sur le rôle d’un véhicule de tournée dans la vie d’un groupe (What Drives Us).

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Kurt Cobain sur scène à l’Auditorium de Verdun, en 1993

Sans compter que sa connaissance de la métropole québécoise s’est assurément approfondie entre 1999 et 2001, alors qu’il formait un couple avec la musicienne montréalaise Melissa Auf der Maur. Et que l’ultime visite de Nirvana à Montréal remonte à il y a presque exactement 30 ans, le 2 novembre 1993, à l’Auditorium de Verdun, cinq mois avant que Kurt Cobain ne mette fin à ses jours. Un groupe du nom de Radiohead était de passage en ville, le même soir, au défunt Woodstock Bar, sur Saint-Laurent.

Le Far West

« Ce dont je me souviens de l’Auditorium de Verdun, c’est que ça sonnait le cul », raconte le leader de Groovy Aardvark, Vincent Peake, qui a vécu à l’Auditorium de Verdun son « premier gros show à vie » le 26 juin 1982, celui d’Iron Maiden.

Mais ce n’était pas grave que ça sonne le cul, parce que contrairement au Forum, il y avait de la place dans le stationnement pour un tailgate. Le party commençait tôt, donc quand tu entrais, il y avait déjà une effervescence de feu.

Vincent Peake

Ce temple du métal, dans les années 1980, s’ouvre dans les années 1990 au grunge et au rock alternatif. Entre août 1993 et août 1996, seulement, Pearl Jam, Lenny Kravitz, Blind Melon, Sepultura, Soundgarden, Green Day, Pantera, The Cranberries, Beastie Boys, Bad Religion et Rage Against the Machine s’y arrêtent.

Les rénovations achevées à l’Auditorium de Verdun en septembre 2021 permettent de penser que la salle pourrait renouer avec ses années dorées, bien que d’autres amphithéâtres, dont la Place Bell, jouent désormais ce rôle de scène intermédiaire pour des artistes majeurs dont la popularité justifie une large enceinte, mais pas encore le domicile du CH.

« Ce qui me vient en tête quand je repense à l’Auditorium de Verdun, c’est l’épopée que c’était de se rendre. C’était comme une épopée dans le Far West », illustre l’ancienne animatrice à MusiquePlus Geneviève Borne. « Ce n’est pas si loin que ça, Verdun, mais ça faisait qu’à la sortie du métro, il y avait déjà une ambiance, avec les rockeurs qui marchaient côte à côte. »

Le surnom que son caméraman et elle donnaient à l’endroit ? « On l’appelait le sauna de Verdun, parce qu’il n’y avait pas de clim. On savait chaque fois qu’on allait avoir atrocement chaud. On n’était pas dans le confort des arénas d’aujourd’hui. Mais c’était raw. C’était rock. »

Foo Fighters sera au Festival d’été de Québec, le 8 juillet, et à l’Auditorium de Verdun, le 10 juillet.