Une jeune femme entre dans une église. Se recueille parmi les objets religieux, sur fond de fanfare triste.

Elle sort de l’église, entre dans une cabine traditionnelle autochtone, où pendent des porte-bébé en bois. La musique se transforme progressivement dans un free jazz chaotique, digne de l’Art Ensemble of Chicago. Le malaise s’installe. Et grandit.

Cette scène, tirée du clip Wawasint8da, de Mali Obomsawin, laisse peu de place à l’ambiguïté. Et résume assez bien le propos de cette contrebassiste abénakise, qui se produit vendredi avec son sextuor au Festival de jazz de Montréal.

Paru en 2021, son premier album, Sweet Tooth, est un véritable brûlot politique. Son mélange de jazz radical et de culture autochtone brille par sa pertinence et son actualité. Ce qui explique peut-être, en partie, l’accueil très favorable que lui a réservé la critique internationale.

La musicienne y aborde des sujets aussi controversés que les ravages de la religion sur les Premières Nations (Wawasint8da), la Loi sur les Indiens et ses dommages collatéraux (Blood quantum, Fractions) et l’héritage ancestral (Lineage), le tout émaillé de vieux enregistrements ethnographiques façon Alan Lomax. Le message est clair, même si les paroles sont rares.

La musicienne se considère-t-elle comme une militante ? Elle trouve le terme trop « individualiste » et préfère se présenter comme une « organisatrice communautaire » (community organizer), lorsqu’on la joint par téléphone sur la côte est américaine.

Elle se voit aussi, et surtout, comme la dépositaire d’une culture qui a maintes fois frisé l’extinction :

J’essaie de raconter mon histoire, d’exprimer comment je me sens et comment d’autres personnes pourraient se sentir. J’ai hérité d’une langue, d’une histoire, j’avais tous ces enregistrements de mes ancêtres : j’avais besoin d’un autel musical pour déposer toutes ces choses.

Mali Obomsawin

Mali Obomsawin aurait pu choisir d’autres genres musicaux pour transmettre ce bagage culturel. Elle a d’ailleurs commencé sa carrière professionnelle au sein du trio folk Lula Wiles (2014-2021).

Mais il s’avère que le jazz, et particulièrement le free jazz, était le parfait véhicule pour faire partager ses idées politiques : sa musique, parfois confrontante, est le reflet du malaise autochtone, dans un système colonialiste qui perdure jusqu’à aujourd’hui, aux États-Unis comme au Canada.

« La tradition de la musique improvisée a toujours été radicale et toujours été de la musique de résistance. Or, la résistance est une façon de vivre pour les peuples autochtones. J’imagine que cela fait aussi partie de ma musique », explique-t-elle.

Des liens avec le Québec

Née il y a 27 ans, à Stratford, dans le New Hampshire, Mali Obomsawin a grandi dans le Maine, mais conserve des liens très étroits avec la réserve Odanak, située près de Sorel, au Québec. « Mon père y habitait, mon frère plus vieux y est né. J’y ai passé plusieurs étés. »

Elle parle français, mais préfère mener l’entrevue en anglais, avec lequel elle se sent plus à l’aise.

Fait intéressant : son grand-père maternel était l’écrivain juif américain Paul Goodman (1911-1972), bien connu pour sa critique sociale et sa lutte pour les droits civiques. Elle a visiblement hérité de la fibre militante de ce dernier, mais semble pour l’instant plus tournée vers ses racines autochtones, tout aussi politisées.

De ce côté, la pomme n’est d’ailleurs pas tombée très loin du pommier : sur son album, Mali reprend à son tour la chanson traditionnelle Odana, popularisée il y a 40 ans par sa cousine, la chanteuse et cinéaste Alanis Obomsawin.

C’est un peu l’hymne national des Abénakis d’Odanak. C’est notre hommage à nous-mêmes.

Mali Obomsawin à propos de la chanson Odana

Hors scène, Mali Obomsawin est tout aussi engagée. Elle est une des fondatrices du Bomazeen Land Trust, une organisation qui revendique le « ramatriement » (version matriarcale du rapatriement) des terres ancestrales aux Abénakis du sud de la frontière, principalement dans le Maine. Une étape indispensable, à ses yeux, pour le « processus de guérison » des Premières Nations.

On lui suggère que cette guérison a déjà commencé. Que la découverte des cimetières des pensionnats ou le mouvement Indian Lives Matter, qui ont provoqué une certaine prise de conscience dans la société non autochtone.

Elle aimerait être d’accord avec nous. Mais pour elle, on est encore très loin du compte.

« Ce sont des améliorations, oui. Mais je suis assez convaincue qu’ils continuent à passer des pipelines. Malgré les excuses et la soi-disant reconnaissance, la destruction de la planète se poursuit. C’est tellement hypocrite. D’ailleurs, le fait que les forêts brûlent et qu’il y ait ces crises climatiques un peu partout est une indication que le mal fait aux peuples autochtones est en train de rattraper tout le monde… »

Femme de convictions, Mali Obomsawin a encore beaucoup de choses à dénoncer. Elle le fera par le jazz, un idiome qui lui colle à la peau. Mais cela n’exclut pas d’autres genres musicaux. « Je ne veux me spécialiser dans rien », résume cette ancienne étudiante de la Berkley School of Music, que certains présentent comme une héritière des contrebassistes Charles Mingus et Charlie Haden.

À preuve : elle vient d’enregistrer un album de rock, dont la sortie est imminente. « C’est une façon plus facile de m’exprimer, conclut-elle. Je n’ai pas besoin d’être éloquente ou intellectuelle lorsque j’en fais ! »

Au studio TD, le 7 juillet, à 18 h

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