Un peu plus de 20 ans après sa disparition inattendue, Sylvain Lelièvre fait l’objet d’un spectacle hommage concocté par Joe Bocan dont la toute dernière représentation a lieu dans le cadre des Francos. Connaissant ses chansons, on se dit que ça ne peut qu’être très touchant.

Un « élan brisé ». Ce sont les mots qui coiffaient l’article rapportant la mort de Sylvain Lelièvre dans La Presse du 1er mai 2002. Ses collègues et amis déploraient tous que sa mort survienne alors que les astres s’alignaient pour lui depuis qu’il avait cédé à son « versant jazz » et à son amour des « accords fuckés ». « On a besoin de gens qui écrivent des chansons qui vont encore émouvoir 20 ans plus tard », disait aussi l’ex-Beau Dommage Robert Léger, parlant de son ami mort la veille d’une embolie cérébrale gazeuse.

Il avait raison sur toute la ligne : deux décennies plus tard, les chansons de Sylvain Lelièvre émeuvent toujours comme si on les entendait pour la première fois. Essayez d’écouter Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves ? sans avoir la larme à l’œil et le cœur qui chavire pour voir. Où Chanson du bord de l’eau, morceau d’une beauté sereine qui fait croire que l’amour peut durer : « Toujours pareille à toi, tu n’es jamais la même / Et chaque jour pourtant, je t’épouse à nouveau ».

Il y a les mots, bien sûr, mais surtout le ton. Sensible, bien sûr, mais surtout humble. Sylvain Lelièvre nous parlait d’égal à égal à travers ses chansons (Toi l’ami en témoigne, d’ailleurs). « Il disait qu’une chanson, c’est une tentative d’amitié », rappelle Catherine Pépin, animatrice du Temps d’une chanson à ICI Musique.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Catherine Pépin, animatrice du Temps d’une chanson à ICI Musique, à Radio-Canada

Je trouve que c’est très révélateur de sa façon d’aborder son art. […] On sentait chez lui une grande écoute. Il captait les failles, les travers, on sentait qu’il était très attentif à ce que chacun pouvait vivre.

Catherine Pépin, animatrice du Temps d’une chanson à ICI Musique

Joe Bocan, qui a créé et mis en scène Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves ?, le spectacle hommage présenté vendredi aux Francos, le dit aussi de mille et une manières : ce qui la touche dans les chansons de Sylvain Lelièvre, c’est tout ce qu’elles portent de générosité, d’authenticité, d’humanité et parfois aussi d’humour. Après s’être plongée dans son répertoire et avoir réécouté des tonnes d’entrevues, elle a d’ailleurs choisi de lancer la soirée en faisant entendre le rire du poète. Un rire généreux, forcément.

Le coup d’envoi musical sera Le plus beau métier, où il dit entre autres qu’il n’y pas « plus beau métier que de tenir parole », parlant de celui de chanteur. « Ça crée tout de suite un mood parce que cette chanson-là prend aux tripes. Il y a une forme de nostalgie dans la mélodie, souligne Joe Bocan. On entre dans son univers avec cette chanson, dont chacun des interprètes chante un petit bout, et je trouve qu’elle représente bien Sylvain Lelièvre. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Joe Bocan, en 2020

Joe Bocan s’est entourée pour ce spectacle d’artistes qui ont bien connu le poète de Limoilou, comme Danielle Oddera et Roberto Medile, mais aussi d’autres qui l’ont peu ou pas côtoyé, comme Daniel Boucher (dont Sylvain Lelièvre aimait le travail sur la langue), Pierre Verville, Florence K, Stéphane Archambault et Martin Théberge. Chaque morceau sera teinté de la couleur musicale de l’interprète, précise la metteuse en scène.

Inspirant jazz

L’un des traits distinctifs de l’œuvre de Sylvain Lelièvre, c’est ce swing inspiré du jazz auquel il a laissé libre cours à la fin de sa vie, mais qui a toujours été là. « On entend ce côté groovy dès Les amours anciennes, sa chanson interprétée par Monique Leyrac qui lui a valu le Grand Prix du Concours international Chanson sur mesure [en 1963] », dit encore Catherine Pépin. Sur scène, c’est surtout Pierre Verville, qui chantera notamment Le joueur de piano, qui va faire swinguer.

Sylvain Lelièvre doutait comme d’autres entrent en religion. Il disait que ses chansons n’étaient pas vraiment « engagées », mais pas non plus « dégagées ». Vigneault lui-même ne trouverait pas une formule aussi juste et élégante. Et si Catherine Pépin évoque la finesse avec laquelle Sylvain Lelièvre parlait des idéaux qui se diluent avec l’âge (aussi dans Venir au monde), elle rappelle qu’il était aussi capable d’un humour assez acide comme dans Môman est là, où il évoque le rôle ingrat des femmes prises au foyer.

Il n’était pas qu’un allumeur de consciences, il éclairait aussi nos conforts et inconforts, ce qui explique en partie, selon Joe Bocan, pourquoi il n’a pas connu le succès populaire qu’il escomptait. « Il allait parfois tellement loin dans cette prise de conscience, avec une telle authenticité et une telle intelligence, que je suis certaine qu’il y a des gens qui n’étaient pas prêts à entendre ça », suggère-t-elle.

La chanteuse, elle, adhère à fond. « Je me dis souvent que j’aimerais le faire redescendre pour être amie avec lui, raconte-t-elle. Je me reconnais beaucoup dans ce qu’il écrit et je suis sûre que beaucoup de gens se retrouvent [encore] dans les questions qu’il soulève dans ses chansons. »

Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves ?, le vendredi 16 juin, à 20 h, au Théâtre Maisonneuve

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