Douze ans après son dernier disque de nouvelles chansons, Vulgaires Machins oppose à ce monde à mourir de honte son empathie, plus que jamais portée par la voix de Marie-Eve Roy. « Je me suis enfin assumée », dit celle qui signe la moitié de Disruption, l’album retour qu’on avait presque cessé d’espérer.

Condition sine qua non. Après son spectacle évènement aux Francos en 2019, Vulgaires Machins a décidé de reprendre pour de bon ses activités, mais non sans s’astreindre à écrire de nouveaux refrains. Pas question de joindre les rangs nombreux de ceux pour qui chanter veut dire entonner ad nauseam les mêmes rengaines.

Autre condition sine qua non. « J’ai dit dès le départ que si on était pour refaire quelque chose, je voulais que la moitié, ce soit mes tounes à moi », explique Marie-Eve Roy, qui a cofondé le groupe en 1995 à Granby avec Guillaume et Maxime Beauregard – le batteur Pat Sayers complète le présent alignement.

Arme cachée de l’incontournable formation punk, sa guitariste et chef d’orchestre n’avait jamais osé s’imposer en tant qu’autrice-compositrice. Deux albums solos seront parvenus à soigner son manque de confiance. « Je n’ai pas toujours été super accueillant », reconnaît avec humilité Guillaume Beauregard.

Mais le principal problème, c’est que j’essayais d’écrire dans un cadre précis, comme Guillaume écrivait. Je ne suis pas cynique ou contestataire comme Guillaume. Je suis plus dans l’émotion. Et je me suis rendu compte que ça pouvait être ça, ma force.

Marie-Eve Roy

Vivre : tel est l’étonnant titre, en apparence pas tellement Vulgaires Machins, de la première pièce de Disruption. « Et tant que mon visage niera ma peine / Je resterai étrangère à la tienne », y chante Marie-Eve Roy, comme on répète à ceux dont on a le bonheur à cœur que leur souffrance n’a rien de faible ou de compulsif. Que c’est OK de ne pas être OK, pour emprunter ici au titre de la quatrième chanson de ce solide album, qui ressemble elle aussi davantage à une main tendue qu’à un poing en l’air.

« L’empathie pour les autres, l’empathie pour la nature, on en a besoin plus que jamais », avance Marie-Eve Roy, en nommant par le fait même l’idée maîtresse de cette résurrection : empathie pour la douleur des Premiers Peuples (Entre le deuil et le blâme). Empathie pour les otages consentants du rêve américain (Asile). Empathie pour qui résiste chaque jour à l’envie de concrétiser la haine qui l’habite. Empathie même pour les mauvais lecteurs d’Orwell, qui abîment des mots précieux à force de mal les employer (Liberté).

Est-ce que ça se peut que ce soit ça, la solution, prendre soin des autres ?

Marie-Eve Roy

Le nihilisme impossible

S’il apporte à Disruption une salutaire forme de continuité, Guillaume Beauregard, après deux albums solos et deux enfants (avec Marie-Eve), n’est plus tout à fait le même homme, du moins plus le même auteur-compositeur. « Mon nihilisme est risible, et nuisible, et abject », scande-t-il dans le classique instantané Obsolète, une phrase niant une partie de la pensée de Vulgaires Machins, toujours déchirée entre la désespérance et sa foi en la possibilité d’un autre monde.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Vulgaires Machins au Festival d’été de Québec en juillet dernier

« Ç’a été une révolution pour moi de devenir père, confie-t-il. J’étais écœuré de crier “Le système, c’est de la marde” dans un contexte punk et il y a eu un moment dans ma vie où j’étais en train de me dire : “Fuck it, on s’en va dans le mur, mais qu’est-ce que tu veux que j’y fasse, je vais trouver mon bonheur.” Mais ça m’a rattrapé : le nihilisme, c’est une bonne avenue pour ne pas virer fou, mais ça devient impossible quand t’as des enfants. »

« Tous mes idéaux tombent / Tous les chemins m’amènent / À cultiver la haine », lance dans la même chanson celui dont les réflexions ont été alimentées par celles du philosophe français Bernard Stiegler, dont les essais décrivent notamment les effets délétères de l’hyperconnectivité.

Quand j’écris des choses comme “Tous mes idéaux tombent”, ça sonne comme une finalité, mais en fait je parle d’un combat intérieur pour continuer à avoir de la compassion pour les autres, même si j’ai envie d’abandonner tout. C’est souvent difficile de voir autant de stupidité autour. Il y a une part de moi qui fait : “Allez tous chier.” Et je pense que c’est important de combattre ça.

Guillaume Beauregard

« Nos politiciens disent sans arrêt qu’il faut créer de la richesse, alors que c’est le contraire qu’il faut faire, conclut Marie-Eve Roy. Mais je vois qu’on est de plus en plus nombreux à se rendre compte qu’il faut décroître, faire des sacrifices, se responsabiliser, tous ensemble. » Quand on y pense deux minutes, conscient et lucide, c’est compliqué, mais possible.

Disruption (à paraître le 14 octobre)

Punk rock

Disruption (à paraître le 14 octobre)

Vulgaires Machins

Costume Records

Lisez notre texte sur l’histoire de Vulgaires Machins