« Je dis bonjour à l’anarchie/j’crois plus en la démocratie. » Depuis près de 25 ans, Vulgaires Machins demeure fidèle à l’implacable déclaration d’intention que renferment les phrases inaugurales de Vingt​-​quatre quarante (1998), son premier album. À l’approche du lancement d’un coffret rassemblant tous ses disques, Guillaume Beauregard et Marie-Eve Roy se remémorent la naissance tâtonnante de l’un des plus importants groupes punk québécois.

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Mathieu Lecours, Guillaume Beauregard, Maxime Beauregard et Marie-Ève Roy, lors de leur première séance photo de groupe en 1996

Les deux leaders de Vulgaires Machins ont 18 ans, à l’été 1996, lorsqu’ils envahissent la résidence de papa et maman Beauregard, partis en voyage, afin d’enregistrer avec Maxime Beauregard (basse) et Mathieu Lecours (batterie) leur premier démo, La vie est belle, à peu près introuvable avant le mois de décembre dernier, alors que paraissait un 33 tours réunissant la rarissime cassette (sur la face A) et Vingt​-​quatre quarante (sur la face B). La galette est le prélude à une anthologie vinyle et à un livre signé Félix B. Desfossés, attendus pour la fin mars.

« On était naïfs, on ne savait pas ce qu’on faisait, mais on avait quand même la volonté d’être un vrai band. On ne savait pas comment enregistrer, mais on le faisait, tout simplement », se souvient Guillaume Beauregard à propos de cette première expérience de studio maison, rue Déragon, à Granby. « Il y avait une beauté, une légèreté là-dedans, ajoute Marie-Ève. On faisait les choses sans se poser de questions, ce qui est plus rare aujourd’hui », après six albums, des centaines de concerts (certains devant des chiens), des enfants et des échappées en solo.

On avait essayé de se faire un set-up de studio professionnel, mais on ne connaissait rien. On avait un ami qui avait étudié à Musitechnic, mais il était pourri. C’était le bordel, mais c’était vraiment cool, parce qu’on le faisait sérieusement.

Guillaume Beauregard

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Guillaume Beauregard pendant l’enregistrement de La vie est belle, en 1996

Trou d’un coup

Guillaume et Marie-Ève, amis depuis leurs 16 ans, avaient brièvement joué dans un groupe de reprises des Ramones, de Green Day et de NOFX (« Ce n’était pas assez sérieux pour nous »), avant de fonder Comic Snuff, qui ne durera qu’un soir. L’enthousiasme que provoque la seule chanson en français au programme, Trou d’un coup, les convainc de larguer leur dictionnaire de traduction, malgré l’anomalie que représentait cette idée saugrenue : jouer du punk dans une autre langue que celle de Bad Religion.

La chanson en question, la première écrite par Guillaume, fait retentir les doléances d’un adepte de miniputt dépité de voir ses amis s’engouffrer dans le conformisme du golf (ou quelque chose du genre). « J’avais trouvé la recette », ironise aujourd’hui le musicien, malgré une compréhensible fierté – comme première tentative, on a déjà entendu beaucoup plus gênant. Elle devient un incontournable des spectacles que donne le groupe à Granby et dans les environs. Les locaux de répétition de la rue Guy et la scène underground des alentours fourmillent alors de formations alternatives au nom à coucher dehors comme Thirsty Flow, Calf, Crispy, Maelström et Jalo-pea.

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Les Vulgaires Machins au Métropolis lors des Francofolies de Montréal en 2010

La vie est belle contient aussi la première version de la pièce Les gens de l’Occident, un portrait à glacer le sang de la culpabilité aveugle des plus privilégiés de la planète, encore à ce jour parmi les immortelles de VM – « On est des gens de l’Occident/on est pourris par en dedans ».

C’est après un cours de géographie au cégep, dans lequel elle prend la mesure de l’exploitation éhontée sur laquelle repose le confort du continent américain, que Marie-Ève écrit les premiers couplets. « Docteur fataliste ici à côté, dit-elle, en montrant Guillaume du doigt, a ajouté le refrain. C’était notre première collaboration. »

Héritiers de Bukowski et de Jacquard

Bien que leur répertoire des débuts soit par moments plus absurde (La sécheuse cannibale), La vie est belle porte déjà en germe les valeurs à travers lesquelles les Vulgaires regarderont mourir le monde. Le quatuor semble d’emblée animé par un cynisme quant à leur pouvoir d’infléchir le sort de la planète grâce à sa musique (Chanson à vendre), une méfiance qu’a toujours contredite l’existence même de ses hymnes indignés.

ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Guillaume Beauregard et Marie-Ève Roy, en septembre 2002

Cette tension ne pourrait être mieux illustrée que par les deux auteurs ayant le plus orienté « l’identité du band, qui a un côté très baveux et en même temps très humaniste », dixit Guillaume : Charles Bukowski et Albert Jacquard, l’un incurable misanthrope, l’autre habité par une foi en la capacité de ses contemporains d’incarner le meilleur. Guillaume et Marie-Ève se rappellent avoir assisté à une conférence de l’essayiste français au cégep de Granby. « On allait là comme si on allait voir David Bowie. »

C’est lors d’un autre type d’évènement – après un spectacle de Grimskunk – que Marie-Ève remet au chanteur Franz Schuller le démo de son groupe. La formation phare du rock alternatif québécois s’apprêtait à mettre à feu sa maison de disques, Indica Records.

Ça ne s’invente pas : « La cassette est restée prise dans la radio de leur van de tournée. Ils n’ont pas eu le choix de l’écouter et ils ont fini par aimer ça. » C’est grâce au numéro de la résidence familiale des Beauregard, inscrite dans la pochette, que Grimskunk a pu retracer ceux qui compteront parmi les premiers membres de son écurie.

D’album en album, Vulgaires Machins gagne en force de frappe, et en admirateurs, jusqu’à l’explosion de Compter les corps en 2006. Hanté par le sentiment d’adhérer à une formule, le groupe entre en dormance en 2014, pour ne remonter sur scène que deux fois, au Rockfest en 2016 et aux Francos en 2019. La nouvelle tombait il y a deux semaines : VM reprendra du service en novembre prochain, partout au Québec, au sein d’une caravane composée d’Anti-Flag et d’Hugo Mudie.

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L’alignement actuel de Vulgaires Machins

« Quand j’y pense deux minutes, conscient et lucide/C’est compliqué, mais possible/Les imbéciles se comptent peut-être par millions, mais la raison gagne du terrain », proclamaient Guillaume et Marie-Ève dans Compter les corps, leur chanson la plus sombre, qui est également leur chanson la plus lumineuse. Leur espoir est-il toujours aussi vibrant ?

C’est fou, parce qu’aujourd’hui, tout le monde a compris qu’on vit des dérèglements climatiques, des problèmes d’inégalités sociales, que le système de santé est en lambeaux. Tout le monde le sait. Il y a une affaire qui nous pète dans la face et on connaît la raison. Je trouve ça fascinant de voir que tout le monde a compris, mais qu’on continue pareil, parce qu’on ne sait pas comment se sortir de ça.

Guillaume Beauregard

Le punk ne serait-il pas en ce sens plus utile que jamais ? « On commence à faire de la musique engagée en se disant que ça va être le véhicule pour changer le monde, explique Guillaume. Mais avec le recul, j’ai l’impression qu’on a plus canalisé une énergie, qu’on a fait du bien à des gens qui pouvaient vivre le même genre de révolte que nous. »

« En tant qu’humain, ce qui nous fait changer, c’est ce qui nous touche, observe Marie-Ève. Et je pense qu’on a touché les gens. »

La vie est belle / Vingt-quatre quarante

Punk rock

La vie est belle / Vingt-quatre quarante

Vulgaires Machins

Costume Records