L’automne dernier, Ludovico Einaudi est devenu une superstar. Il était déjà le compositeur néoclassique le plus en vue de la planète. Propulsé par une tendance TikTok, il est désormais le pianiste classique le plus écouté au monde. Retour sur le phénomène italien qui donnera un concert à Québec et trois à Montréal au cours des prochains jours.

Un pianiste classique

Initié au piano par sa mère, elle-même fille de pianiste, Ludovico Einaudi a d’abord été formé à Turin, sa ville natale, avant de poursuivre ses études au Conservatoire de Milan auprès de Luciano Berio et de se perfectionner auprès de Karlheinz Stockhausen. Il s’est consacré, dès ses débuts, à la composition de ballets, d’œuvres orchestrales ou pour divers ensembles. Il cherche depuis ses débuts à produire une impression maximale avec un jeu minimal – ce qui caractérise encore sa musique économe et notamment articulée autour de motifs répétitifs.

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Omar Sy et François Cluzet dans Intouchables, sorti en 2012

Révélé par le cinéma

Ludovico Einaudi ne s’est jamais mis de barrière : il a notamment collaboré avec le joueur de kora malien Ballaké Sissoko et le joueur de duduk arménien Djivan Gasparyan. Or, c’est la musique à l’écran qui le fera sortir de l’ombre : il signe en 1998 la musique du film Aprile de Nanni Moretti et, en 2002, celle d’une reprise de Doctor Zhivago qui le fait remarquer aux États-Unis. Il composera dans la foulée pour les films I’m Still There (de Casey Affleck, avec Joaquin Phoenix) et surtout Intouchables (avec Omar Sy et François Cluzet) qui a donné un réel coup de fouet à sa carrière – un peu comme Amélie Poulain pour Yann Tiersen.

Jouer moins, sentir plus

De Luciano Berio, Ludovico Einaudi a retenu en particulier une leçon : faire une musique connectée aux émotions. Il a fini par concentrer son art de la composition autour de son piano et par favoriser une approche dépouillée. « J’écoutais Miles Davis, aussi, qui laissait beaucoup de silence entre les notes, a-t-il confié en avril dernier à Paris Match. C’est ce que j’ai voulu faire. » Sa musique est réfléchie, mais son approche n’a rien d’intellectuel. Cela contribue selon lui à la rendre attrayante au plus grand nombre.

Seul sur sa banquise

Son immense succès divise les gens et place Ludovico Einaudi en marge des circuits de la musique classique. En entrevue à La Presse, l’an dernier, le pianiste et compositeur Alain Lefèvre avait pesté contre ses « tounettes » répétitives qu’il associait à de la musique d’ascenseur et a reproché à son homologue italien de « se faire filmer sur un glacier à jouer au piano des affaires qu’un enfant de 4 ans pourrait composer ». Il faisait référence à Elegy for the Arctic, que Ludovico Einaudi a interprétée en Norvège pour une campagne de sensibilisation de Greenpeace. Sa vision est diamétralement opposée à celle des millions d’admirateurs du pianiste italien qu’un internaute a résumée ainsi sous la vidéo tournée sur la glace : « Simplicité et beauté, mais avec un message complexe en arrière. »

Sous l’eau

Underwater, le plus récent album de Ludovico Einaudi, est paru en janvier. Oui, c’est un album de confinement. Il s’agit, pour le compositeur, d’une espèce de journal intime « détoxifié » des impératifs de la vie d’avant, du consumérisme oppressant. « Cette période était comme vivre dans un paradis terrestre, a-t-il dit au quotidien italien La Repubblica. Je me sentais comme quand j’avais 18 ans, quand je ne savais pas à quoi ressemblerait mon avenir. » Il a entrepris cette année une tournée qui le mènera un peu partout sur la planète, dans des salles sans doute encore plus grandes qu’avant puisqu’il est maintenant une star de… TikTok.

Des milliards d’écoutes

Le cinéma a sorti Ludovico Einaudi de l’ombre, mais ce sont les réseaux sociaux qui l’ont propulsé dans la stratosphère. Les adolescents ne connaissent ni le nom ni le visage du compositeur italien qui a l’âge d’être leur grand-père. Nombre d’entre eux reconnaissent toutefois son morceau Experience dès les premières mesures. Celui-ci a été au cœur d’une tendance devenu viral l’automne dernier, un rayonnement qui a rejailli sur les plateformes d’écoute en continu. Ses écoutes ont explosé depuis. Sur Spotify, Experience avait accumulé 230 millions d’écoutes à la mi-juin, presque autant que Hung Up de Madonna (251 millions d’écoutes) et Running Up that Hill de Kate Bush (265 millions). Son morceau Nuvole Bianche revendiquait quant à lui presque 284 millions d’écoutes. Ce n’est sûrement pas ce à quoi Ludovico Einaudi songeait quand il a cherché à obtenir un maximum d’effet avec le minimum de musique, mais il ne doit pas s’en plaindre.

En concert : Grand Théâtre de Québec, le 30 juin ; Maison symphonique (en solo), le 2 juillet ; Salle Wilfrid-Pelletier les 3 et 4 juillet.