Dans un geste d’appui à Neil Young et à Joni Mitchell, Gilles Vigneault vient de demander à son étiquette de disques Tandem de retirer dès maintenant tous ses titres de la plateforme numérique Spotify. Leur démarche met « une forte pression morale » sur le géant de la diffusion en continu, selon un expert.

Le légendaire poète et auteur-compositeur-interprète québécois a pris cette décision afin de donner « un bon exemple de rigueur citoyenne et d’exigence intellectuelle », peut-on lire dans un communiqué publié lundi.

« Je trouve donc que Neil Young et Joni Mitchell ont raison de nous donner cet exemple et c’est aussi honorable que pertinent de les suivre dans leur rejet des faussetés avérées dangereuses professées par des théoriciens du populisme galopant », a ajouté l’artiste de Natashquan.

J’appuie donc de toutes mes convictions leur démarche audacieuse, dictée par une éthique qui est la véritable gardienne de nos pensées et de nos valeurs.

Gilles Vigneault

La semaine dernière, Neil Young a le premier décidé de retirer toutes ses chansons de la plateforme de diffusion suédoise, en réponse au refus de Spotify de cesser d’héberger le controversé, mais aussi très écouté animateur américain Joe Rogan, numéro un des écoutes de balados sur Spotify l’an dernier.

Gilles Vigneault est le premier Québécois, à tenir tête au géant suédois. Un mouvement qui pourrait entraîner d’autres défections. En effet, le guitariste Nils Lofgren a retiré son matériel de la plateforme, tandis que l’auteure Brené Brown a annoncé qu’elle ne publierait plus d’épisodes de ses balados jusqu’à nouvel ordre.

« Engagement authentique »

« On pourrait dire que les conséquences financières vont être marginales pour ces artistes par rapport à la carrière qu’ils ont eue », soulève d’emblée Renaud Legoux, professeur titulaire au département de marketing de HEC Montréal. « Mais une explication économique est hautement insuffisante dans ce cas. Ce sont des artistes qui ont un engagement authentique, militant, qui sont prêts à poser des actes de manière cohérente avec leurs valeurs. De manière symbolique, c’est très parlant. »

C’est la « pression morale » qui compte surtout ici.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Renaud Legoux, professeur en marketing à HEC Montréal

L’autorité morale de Gilles Vigneault au Québec est fondamentale. Nous sommes devant quelqu’un qui a des convictions. On sait qu’il a toujours endossé des causes de façon sincère et altruiste.

Renaud Legoux, professeur titulaire au département de marketing de HEC Montréal

« Je parle en mon nom personnel ici : je trouverais très difficile de remettre ses intentions en question. […] Il devient très gênant pour Spotify de ne faire que le strict minimum face à cette pression morale, surtout si elle se poursuit. »

Cette décision « montre les différents rôles que peuvent jouer les artistes », croit l’expert en marketing des arts et des industries culturelles. « Je pense que la position de ces trois artistes vénérables, ces consciences artistiques de notre peuple, est très utile », affirme Renaud Legoux.

Limiter les dégâts

Que risque de faire Spotify face à la crise ? « Ils vont conserver [le contenu] jusqu’à ce qu’ils considèrent que M. Rogan leur coûte trop cher », estime Renaud Legoux. Le professeur de HEC rappelle que Spotify a payé environ 100 millions pour l’exclusivité sur le contenu de Joe Rogan. Pour certains analystes, cette entente rend Spotify responsable des messages diffusés par Joe Rogan, à la manière d’un média (plutôt qu’un simple diffuseur). L’entreprise plaide qu’elle n’est pas responsable de la modération du contenu de sa plateforme.

« J’aimerais beaucoup assister aux discussions qui ont cours en ce moment chez Spotify. Ce n’est pas une marque qui divise les foules. De tenir aussi longtemps à une personne qui véhicule des propos clivants, ça doit être très inconfortable », dit M. Legoux.

PHOTO ALICE CHICHE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Neil Young a lancé le bal la semaine dernière en retirant ses chansons de Spotify pour protester contre l’inaction de la société suédoise contre la désinformation présente dans la balado de Joe Rogan.

Dans un geste pour tenter de limiter les dégâts – le titre de Spotify a plongé à la suite des décisions de Neil Young et de Joni Mitchell –, le PDG et fondateur du numéro un mondial de la diffusion web de musique, Daniel Ek, a annoncé dans la soirée de dimanche que des mesures allaient être rapidement mises en place, notamment l’introduction de liens dans toutes ses balados évoquant la COVID-19 qui guideront ses utilisateurs vers des informations factuelles et scientifiquement vérifiées.

« Ils essaient d’y aller de manière graduelle [pour payer les pots cassés], mais dans une telle gestion de crise, des petits mouvements pour tenter de voir si ça apaise la grogne, ça ne fait que l’alimenter », dit Renaud Legoux.

La démarche de Neil Young et de Joni Mitchell, maintenant rejoints par Gilles Vigneault, a donné des ailes au mouvement Delete Spotify ou Cancel Spotify. Des auditeurs décident en effet de résilier leur abonnement. « L’impact se fait sentir dans le nombre d’abonnés, leur loyauté future, dans les artistes qui se retirent, mais aussi dans la capacité future de signer de nouvelles ententes », analyse M. Legoux.

Invité controversé

Plus de 200 professionnels de la santé américains avaient récemment tiré la sonnette d’alarme après que Joe Rogan eut reçu dans son émission un médecin très apprécié des antivaccins, Robert Malone.

« Ils ont une opinion différente du discours majoritaire » qu’il voulait entendre, avait alors expliqué Joe Rogan, en affirmant être surtout « à la recherche de la vérité » et vouloir « avoir des conversations intéressantes avec des personnes qui ont des opinions différentes ». L’animateur a par ailleurs salué la décision de Spotify d’ajouter des informations relatives à la COVID-19 dans toutes les balados.

Le prince Harry et sa femme Meghan Markle – qui ont signé avec la plateforme un accord estimé à 25 millions de dollars – ont fait savoir dimanche qu’ils avaient exprimé « leurs inquiétudes » à Spotify sur la question.

Des artistes ont déjà, par le passé, pris la décision de ne pas (ou de ne plus) afficher leurs œuvres sur Spotify. La rémunération jugée inadéquate des créateurs vaut à l’entreprise suédoise d’être vivement critiquée.

Au moment d’écrire ces lignes, le catalogue de Gilles Vigneault sur Spotify, qui comptent près de 22 000 auditeurs mensuels, était encore accessible.

Avec l’Agence France-Presse