Il y avait une drôle — pas drôle du tout — de sensation, jeudi soir, dans l’enceinte du MTELUS, avant le passage montréalais du plus jeune des vétérans, Louis-Jean Cormier.

Un sentiment de jouir d’un privilège, quelques jours avant que la nuit tombe sur les arts vivants, qui seront amputés dès lundi de la moitié de leur public. Un sentiment de méfiance, aussi, alors que plus de 2000 spectateurs étaient rassemblés sans distanciation physique — avec une mini-minorité de démasqués — au moment où le Québec frôle les 4000 cas quotidiens de COVID-19.

Omicron semble avoir été escorté à la porte, et c’est le premier des deux sentiments qui a triomphé dès que Louis-Jean Cormier est apparu sur l’intro instrumentale de 100 mètres haies, avant de s’installer seul au piano pour démonter à sa guise J’ai monté.

Ses trois musiciens, François Lafontaine (claviers), Amélie Mandeville (clavier, basse, voix) et Marc-André Larocque (percussions), ont tôt fait d’électriser l’entrée en matière.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Louis-Jean Cormier en spectacle au MTELUS, jeudi soir

« T’as pas idée, Montréal, à quel point j’attends ce moment-là, à quel point on attend ce moment-là », a lancé le récent quadragénaire.

Courte mise en contexte, empruntée à la description du concert : « Le spectacle initialement prévu le 22 mai 2020 au MTELUS, puis ensuite reporté au 9 décembre 2020 et au 15 avril 2021, sera à nouveau reporté au 16 décembre 2021. »

Nous y étions enfin. Et avons failli ne pas y être. « Ça se pourrait qu’on ne puisse pas rejouer avant un petit bout », a dit l’auteur-compositeur-interprète, qui scellait jeudi sa déconcertante année de concerts.

On est en manque de musique : es-tu en manque de musique ? Ça se pourrait qu’on étire.

Louis-Jean Cormier, en spectacle au MTELUS

Il fallait ainsi profiter du moment, sans trop nous demander quand nous allions revoir une telle densité de spectateurs en admission générale, peut-être quelque part en 2022.

Tout tombe à sa place, après tout, a plaidé Louis-Jean Cormier dans une version allongée et psychotonique. Parce qu’en concert, le touche-à-tout découpe les chansons, les réarrange, les trafique, leur donne un allant qui n’existe pas sur disque. Ou sur disques. La soirée de jeudi, reports obligent, était principalement construite autour des albums Quand la nuit tombe (2020) et Le ciel est au plancher (2021).

C’est de cette deuxième offrande, en grande partie consacrée au deuil du père, qu’a surgi la plus grande charge émotive. Il avouera au piano ne Croire en rien, avec, pour la première fois, des musiciens dans la retenue. La foule, jusqu’alors dansante, se recueille, téléphone à la main pour — peut-être paradoxalement — capter le moment.

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Louis-Jean Cormier en spectacle au MTELUS, jeudi soir

Encore pour son père et avec un double sens trop actuel, Cormier restera devant son instrument pour souligner L’ironie du sort : « Le rideau tombe, juste au moment où je revenais vers toi. »

Le patron est en contrôle. Ce sont bien vite des titres de Quand la nuit tombe, Les lignes de ta main et Je me moi, qui nous réinvitent à la « discothèque ».

Ça danse et ça chante, deux activités qui seront interdites au tournant du week-end. Bonne nouvelle, personne n’y pense, sinon nous.

Pendant le généreux spectacle, Louis-Jean Cormier ne manque pas de fréquenter les Grandes artères (2015) autrement. « Luis Juan Cormière » interrompt Si tu reviens avec un monologue sur sa moustache de calibre « Narcos saison 3 », ou encore cisèle St-Michel d’un jam épique.

Les éclairages et les projections, sobres, accompagnent sans déranger. On voudrait reprocher à Louis-Jean Cormier un manque de connivence avec ses musiciens qu’il s’en approche et les regarde aussitôt. Il perd le fil qu’il ramène illico, avec humour, son TDA. Des réflexes de routier, qui colmate les failles dès qu’elles se pointent.

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Louis-Jean Cormier en spectacle au MTELUS, jeudi soir

C’est bientôt la fin, et Tout le monde en même temps, cueilli au Treizième étage (2012), s’offre en ultime défoulement avant l’inconnu.

L’heure de tombée nous prive du rappel, imposé par les « Ho hé, ho hé ho hé ho hé », alors que nous partons écrire ces lignes. En guise de chant du cygne, Louis-Jean Cormier a joué La photo, avons-nous tout de même vérifié : « Quand la nuit tombe / Chaque fois qu’je vis la fin du monde / Je monte ici et je prends la photo usée dans mes mains. »

Ils seront sans doute nombreux à conserver dans leur téléphone une photo ou une vidéo de Croire en rien, juste au cas. « Merci de porter la culture québécoise à bout de bras », avons-nous finalement capté en écho alors que nous franchissions la porte du MTELUS. Salomé Leclerc avait assuré — dans tous les sens — la première partie.