Le concert d’ouverture de l’Orchestre Métropolitain, qui a eu lieu jeudi soir à la Maison symphonique, mettait en lumière deux œuvres composées respectivement par une Anichinabée et une Afro-Américaine. Au-delà de la question de l’interprétation musicale (qui est tout autre), ce choix de Yannick Nézet-Séguin soulève des questions fondamentales et fascinantes en ce qui a trait au choix du répertoire des concerts classiques.

On assiste, depuis quelques années, à une volonté affirmée de donner plus de place aux femmes et aux membres de communautés dites « racisées » dans la sphère musicale classique. L’Orchestre symphonique de Montréal a par exemple donné la Symphonie no 2 du compositeur afro-américain William Grant Still en avril dernier. Les apparitions de cheffes invitées ont en outre littéralement explosé depuis peu.

Cette volonté de redonner une place à celles et ceux qui en ont été privés pendant longtemps s’inscrit dans une démarche assumée de discrimination positive. Cette philosophie, déjà bien présente dans le monde du travail, par exemple, a ses pour et ses contre, et il n’est évidemment pas question de trancher ici la question. Du côté « pour » : agir « en haut » serait censé stimuler le « bas », c’est-à-dire susciter des vocations au sein des groupes minorisés. Du côté « contre » : la discrimination positive resterait de la discrimination et nous priverait d’éléments de qualité.

En musique, le bassin de « candidats » est immense. Ne retenir que le critère de la qualité intrinsèque de l’œuvre (en tenant compte de l’inspiration mélodique, de la cohérence formelle, de l’orchestration, etc.) se défend. Entendre la Messe en si de Bach ou Pelléas et Mélisande de Debussy est évidemment très édifiant. Mais pour éviter l’éternel ronron des grands chefs-d’œuvre et susciter la découverte, il faut bien sortir un peu des sentiers battus, quitte à baisser d’un cran sur le plan qualitatif. C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit de programmer de la musique de chez soi. Il est bien entendu que Jacques Hétu et André Mathieu n’arrivent pas à la cheville de Beethoven et de Mahler, mais c’est notre musique. C’est notre devoir de la jouer et de l’aimer.

Quelques images du concert
  • Yannick Nézet-Séguin et la compositrice anichinabée Barbara Assiginaak

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Yannick Nézet-Séguin et la compositrice anichinabée Barbara Assiginaak

  • Comme il en a l’habitude, Yannick Nézet-Séguin explique au public ce qu’il s’apprête à entendre.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Comme il en a l’habitude, Yannick Nézet-Séguin explique au public ce qu’il s’apprête à entendre.

  • Le Concerto en sol de Ravel a été interprété par la pianiste française Hélène Grimaud

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Le Concerto en sol de Ravel a été interprété par la pianiste française Hélène Grimaud

  • Les membres de l’OM jouent l’œuvre Eko-Bmijwang, de Barbara Assiginaak.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Les membres de l’OM jouent l’œuvre Eko-Bmijwang, de Barbara Assiginaak.

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Il est par conséquent tout à fait légitime de ne pas s’arrêter qu’à la valeur – à peu près – objective des œuvres. C’est ce que Yannick Nézet-Séguin a fait en commandant à la compositrice anichinabée Barbara Assiginaak une œuvre, qu’il a créée en août au Festival de Lanaudière.

La rejouer en cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation était un geste fort. Brève mais foisonnante, l’œuvre Eko-Bmijwang (« Aussi longtemps que la rivière coule ») a manifestement conquis les spectateurs, qui, dans leur relative diversité, se sont reconnus dans cette ode au grand fleuve qui coule dans les veines de tous ceux qui habitent la vallée laurentienne, peu importe leur origine.

Mme Assiginaak, qui est venue saluer le public sur scène en toute simplicité, a sûrement été en partie choisie pour des considérations extérieures à sa musique, mais il se trouve également qu’elle est une compositrice chevronnée et inspirée. On a donc fait d’une pierre deux coups.

Il est difficile de dire la même chose pour la Symphonie no 1 en mi mineur de la compositrice afro-américaine Florence Price, la première œuvre d’une femme noire à être jouée par un grand orchestre états-unien. C’est une journaliste qui décida, en 1933, de payer 250 $ pour que l’œuvre soit jouée par l’Orchestre symphonique de Chicago dans le cadre d’un programme de musique noire.

Pour Yannick Nézet-Séguin, qui vient d’enregistrer ses première et troisième symphonies chez Deutsche Grammophon avec l’Orchestre de Philadelphie, Price « aurait dû avoir sa place, comme Rachmaninov et Gershwin », et c’est à ce qu’elle était, non aux qualités de ses compositions, qu’elle doit de n’être pas restée au répertoire, a-t-il déclaré durant la soirée.

L’œuvre jouée jeudi soir par le Métropolitain montre une certaine inspiration mélodique (notamment nourrie par les negro spirituals), mais souffre d’une orchestration déficiente – certains thèmes dans le grave sont enterrés par les cordes –, une quasi-absence de contrepoint et une forme bancale avec beaucoup de formules stéréotypées. Il y a quelques beaux moments (le choral de cuivres du deuxième mouvement et la Juba Dance), mais on est loin de Gershwin, et très, très loin de Rachmaninov. Quoi qu’en pense le chef montréalais, il y a fort à parier que l’œuvre n’aurait pas eu tellement plus de succès, eût-elle été écrite par un homme blanc.

Entre les deux partitions, la pianiste française Hélène Grimaud nous a livré un Concerto en sol de Ravel sans grande envergure, malgré l’accompagnement engagé et chatoyant de Nézet-Séguin. Peu de couleurs, peu de spontanéité, aucun pétillement dans les mouvements rapides et un sens du swing aux abonnés absents. Dommage.

Le concert sera offert en webdiffusion du 15 au 24 octobre.