Petite nature, son troisième album en cinq ans, est à l’image d’Émile Bilodeau : foisonnant et indigné, intime et généreux, rempli d’autodérision et d’humour. Rencontre avec un chanteur qui n’a pas peur de se mouiller.

Dans un café ouvert expressément pour nous, Émile Bilodeau nous accueille avec son habituelle bonhomie. « J’aime ça, les journées de promo, moi ! » Fidèle à lui-même, il commente tout ce qui se passe en prenant la pause pour le photographe, avant de s’asseoir pour l’entrevue, de bonne humeur et concentré.

Petite nature, qui sort vendredi, arrive seulement deux ans après Grandeur mature. Mais on a l’impression que l’auteur-compositeur-interprète de 25 ans a vécu une vie complète pendant cette période.

« Tu trouves ? » Court, très court silence. « Ouin, c’est vrai que j’ai expérimenté toutes sortes de choses. »

Et comment. D’abord, une prise de position contre la Loi sur la laïcité de l’État qui lui a valu un lot de reproches et « un quiproquo avec le gouvernement », mais qu’il assume complètement. « Je ressens que je représente la jeunesse et je trouve important de parler en son nom », dit-il. Aussi, dans le désordre : des ateliers d’écriture de chanson dans une école de Montréal-Nord, qui lui ont permis de voir la réalité sur le terrain, une campagne pour permettre au documentaire Les Rose d’être sélectionné pour l’Iris prix du public au Gala Québec Cinéma, une désintox des réseaux sociaux qui a duré un mois…

« J’étais rendu tellement dépendant… Mais ça fait partie de moi, maintenant, de pouvoir partager mes idées rapidement. »

Tout cela sans compter les spectacles pandémiques sur des camionnettes, des pontons ou des autobus, pendant lesquels il avait l’impression de faire un « retour à la bohème » de ses débuts. Et ses nouvelles amitiés à Maliotenam avec les Matiu et Scott Pien-Picard, « la nouvelle garde d’artistes innus » avec qui il a enregistré une chanson dans le studio de Florent Vollant.

Des fois, on pitche dans les airs que la musique, ça rassemble. Moi, ç’a été noir sur blanc.

Émile Bilodeau

Et il y a eu évidemment l’écriture de nouvelles chansons, qui est arrivée plus vite que prévu, alors que la pandémie avait interrompu sa tournée.

Le résultat est un album généreux de 15 chansons, dans lequel l’auteur-compositeur-interprète ratisse large. Environnement – trame de fond de cet album inquiet –, féminisme, racisme, mais aussi solitude, peine d’amour ou d’amitié : il a été inspiré par le monde en mouvement autour de lui, mais aussi par lui-même.

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« Je parle de moi dans le but que les gens se reconnaissent. Mais j’ose croire que l’humour est encore là, sinon ce serait lourd, cet album. Ça prend aussi des chansons idiotes ! »

Chronique

Chargé émotivement malgré ses joyeuses touches d’autodérision – 1000 agneaux milléniaux, SQDC, Des vrais, des faux, trois titres qui disent tout ! –, Petite nature se trouve à mi-chemin entre le journal intime et la chronique sociale.

« Ah, je trouve ça beau comme image. Oui, des petites chroniques… Mais des crisses de bonnes chroniques, là, pas l’affaire d’une par semaine… J’ai écrit ça pendant un an, j’ai travaillé fort là-dessus. »

Si son précédent album s’intitulait Grandeur mature, on dirait bien que c’est avec Petite nature qu’Émile Bilodeau a atteint la maturité. Il opine. « Mais c’est Grandeur mature qui m’a donné les outils pour défendre mes idées et m’aider à devenir l’homme que je suis »

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Très personnelle, la première chanson , Métamorphose, parle de ce chemin qu’il a parcouru, des choix qu’il a faits, de la nécessité de s’assumer. « J’ai tellement changé… même si je reste rigoleur. Je pense que la métamorphose s’inscrit dans plein d’aspects de ma vie. »

Quitte à perdre un peu de sa naïveté dans tout le processus.

À cause des choses qu’on a vécues de manière intense depuis deux ans, j’ai peut-être laissé un peu de candeur dans cet album. Pour dire des choses telles quelles, utiliser des mots plus durs, aborder des affaires plus rudes.

Émile Bilodeau

La vie professionnelle d’Émile Bilodeau a aussi changé au cours de l’année. Après avoir travaillé avec Philippe B pour ses deux premiers albums, c’est vers Philippe Brault qu’il s’est tourné pour la réalisation de celui-ci.

« La musique, c’est des liens humains. Parfois, il faut changer les équipes pour avoir un nouveau son. »

Il avait entre autres envie des ambiances orchestrales de Philippe Brault, qu’il avait adorées sur l’album de Caroline Savoie. « Ça faisait longtemps que je le regardais du coin de l’œil. Je lui ai demandé, il a dit : ‟OK, mais je veux que ce soit José Major à la batterie.” J’ai dit : ‟Pas de problème.” Et il y a toujours Nathan, mon complice de longue date, aux claviers. Ça a vraiment marché fort. »

Ajoutez à ça Philippe Brault qui manie la basse, un quatuor à cordes – « Ça se termine avec un buffet de cordes, c’est omniprésent dans les cinq premières chansons, j’avais le goût de marquer le coup ! » –, des expérimentations rythmiques, mais aussi avec sa voix, qu’il fait monter dans des hauteurs insoupçonnées.

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« C’est Phil qui m’a dit : ‟T’es capable, assume-le.” Comme dans La jungle du capital, quand ça devient vraiment lent, je disais pourquoi on continue pas sur le beat ? Il disait : ‟Non, man, on tombe en off time.” Cet album, ç’a beaucoup été se jeter dans de nouvelles affaires. C’est important de juste se dépasser un peu, pour la prochaine fois y aller encore plus fort. »

Nouvelle patronne

Autre nouveauté : après la secousse qui a ébranlé à l’été 2020 l’étiquette qui l’a mis au monde, Dare to Care, causant ainsi le départ de son fondateur, c’est Béatrice Martin, alias Cœur de pirate, qui a repris les rênes de la boîte qui s’appelle maintenant Bravo Musique.

« Ça ne m’a pas trop brassé quand c’est arrivé, j’étais tellement dans l’écriture de mes tounes. Mais c’était clair que je voulais rester avec cette équipe. Je trouve que Béatrice est une des grandes chanteuses, autrices et compositrices de la dernière décennie, et qu’elle reprenne ça en main… c’est encore mieux. Voilà quelqu’un qui sait c’est quoi être sur scène, sortir des nouvelles tounes. »

Bref, Émile Bilodeau est content de la tournure des évènements.

Le gros défi était de remettre ça sur les rails avant de renouveler la patente, mais ça sent bon. Beaucoup de gens sont partis, beaucoup sont restés, d’autres sont arrivés. J’ai hâte de voir la suite des choses.

Émile Bilodeau

Émile Bilodeau va bien sûr reprendre la tournée. Il fera entre autres la première partie des Cowboys Fringants au Centre Bell le 25 novembre, passera par le MTelus les 12 et 13 décembre, ira un peu partout dans les salles du Québec et fera un saut en Europe.

Ce sera un spectacle costaud, « toutes les chansons de Petite nature plus les hits des deux premiers albums », 19 pièces en tout. Et il a envie d’innover aussi dans l’aspect scénique.

« On a entré un éclairagiste. On parlait de nouveauté dans le son, je voulais aussi que scéniquement, ce soit plus juste le gars qui chante et qui saute en avant. Je veux qu’on soit dans une bulle musicale, et l’asperger de lumière et de punch et d’énergie. »

Quant à la sortie de Petite nature, celui qui avait fait une entrée fracassante avec son premier album Rites de passage il y a cinq ans ne se met pas de pression.

« Je n’ai plus besoin que mes albums soient des gros hits. Il aura la vie qu’il aura. J’ai du plaisir à chanter les chansons, et je suis guiré pour les chanter encore longtemps. J’ai arrêté de tout miser sur un album. Je sais que je vais en faire d’autres. »

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Celui-là, il l’espère en tout cas réconfortant, comme un pansement sur les blessures des deux dernières années.

« Ma maladie mentale est dédiée à la jeunesse. Je me souviens, pour les minorités qui m’ont vu travailler un peu de leur côté. Cowgirl, pour les femmes. L’île Zolman parle de la solitude de la dernière année. J’ai voulu dire : ‟Je vous ai entendu et je sais que c’était pas facile.” Et on va chanter ces réalités-là, la souffrance sous toutes ses formes. Parce qu’avant de guérir, ça, c’est ce que Black Lives Matter m’a appris, il faut comprendre. »

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