Pour leur troisième et avant-dernière soirée, les Francos de Montréal ont prêté leur scène principale à des ambassadeurs récents ou établis du rap québécois : Calamine, Sarahmée, Koriass et FouKi. Compte rendu d’une soirée sous le signe des rimes et des rythmes.

Koriass et FouKi

« Bienvenue au premier vrai spectacle de Génies en herbe », a lancé Koriass après avoir entonné la pièce-titre de l’album concocté en 2020 avec son pote FouKi. Il était normal et espéré que leurs univers se croisent sur scène dans une brèche pandémique. L’avant-dernière soirée des Francos a scellé une fois pour toutes l’union créatrice des deux rappeurs les plus en vue du Québec.

Bénis, Bravo, Fait chier… « L’premier ministre de Saint-Eustache » et le « king dans le règne du Plateau » se sont livrés à un ping-pong verbal effréné pendant une heure et quart.

Il y a trois ans, à l’époque des collaborations All Zay ou Lait de chèvre, on aurait pu redouter que Koriass, avec son aplomb et son assurance, déclasse FouKi, encore timide devant les foules. Or, le prolifique représentant de « Plato Hess » a acquis en quelques années le bagage des vétérans. Résultat ? Le tandem rappait à forces égales.

En solo, Koriass s’est réservé Blacklights avant d’être avalé dans un nuage de fumée. « Êtes-vous prêts à continuer ce fucking party-là ? », a-t-il demandé.

La réponse est venue au son de Tout c’qui faut et de Oui toi, celle-là défendue par FouKi uniquement.

PHOTO ANDREJ IVANOV, COLLABORATION SPÉCIALE

Koriass et Fouki

Mains en l’air, corps qui ondulent, baissent et remontent selon les directives, paroles déclamées en chœur ; le public retrouvait ses chouchous. L’énergie aurait bien sûr été décuplée si ce n’avait été des cinq enclos qui dispersaient les 2500 spectateurs. Or, accompagnés de DJ Manifest et de QuietMike aux consoles, mis en valeur par des détails vidéographiques, Koriass et FouKi ont été à la hauteur du rendez-vous.

Les dernières chansons au programme s’offraient chaque fois en cadeau aux irréductibles : Enfants de l’asphalte, Copilote, Ciel, Cinq à Sept… Et comme bouquet final, Gayé – « gelé » dans le jargon de FouKi –, qui a précipité de vastes effluves de cannabis dans la foule. Le party à son paroxysme.

Sarahmée

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Sarahmée

Introduite par un solo de guitare de Diego Montenegro, Sarahmée, toute de blanc vêtue, a rejoint quatre danseurs pour mettre le Fuego, dans une version amputée de son complice Souldia. « Comme vous voyez, j’ai opté pour un outfit discret ce soir », a-t-elle rigolé en référence à son jumpsuit étincelant. Ou peut-être aux imposants anneaux dorés suspendus à ses oreilles.

Il n’y avait rien de discret, samedi soir avant l’entrée en scène de Koriass et FouKi. C’était l’opulence au micro, puis parmi les spectateurs contraints au mouvement, comme les marées sous la lune. Après s’être frottée à la pièce-titre de son plus récent opus, Poupée russe, la rappeuse féministe et antiraciste a brièvement pigé dans les hymnes fédérateurs d’Irréversible (Ma peau, Ensemble), un deuxième album qui l’a révélé au grand public.

Puis les nouveautés offertes sur disque il y a une semaine se sont succédé : Bienvenue dans ma vie, Le cœur a ses raisons, De près, Vilipendée, Superflex, Elle est partie. « Supportez le rap québécois, supportez les talents locaux », a demandé la « fière québécoise d’origine sénégalaise ». Décidément, les spectateurs avaient déjà prêté l’oreille.

Changement de costume, chorégraphies bien huilées, jeux d’éclairage, interactions avec la foule, connivence avec le DJ Thomas Lapointe, collaborations fluides de Maky Lavender et Nissa Seych : Sarahmée, sur scène, avait tout d’une « queen » sur son trône. Et les sujets en ont redemandé. En guise d’au revoir et de salut, la monarque a scandé la libératrice… Freedom.

Calamine

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Calamine

Il y a pire endroit que la scène principale de la place des Festivals pour faire son baptême des Francos. Et il y a pire moment qu’un baptême des Francos pour recevoir le prestigieux prix Félix-Leclerc de la chanson 2021. Parlez-en à la rappeuse Calamine, qui a ouï Laurent Saulnier, vice-président à la programmation du festival, interrompre sa marche vers les coulisses, en fin de concert samedi soir. « Calamine ! Calamine ! Julie ! » La rappeuse féministe derrière Boulette Proof, surprise et émue, a appris qu’elle touchait des bourses totalisant 30 000 $ et assurait sa participation aux Francofolies de La Rochelle, en France, l’an prochain. Julie Gagnon, de son vrai nom, succède à Les Louanges, Hubert Lenoir, et Klô Pelgag.

Et le spectacle ? La « hochelagurl » affrontait sa « plus grosse crowd » en carrière, s’est-elle réjouie. Casquette rose à l’envers, salopette en jean, chemise pastel ; la versificatrice queer et anticapitaliste a fait flotter son flow et ses rimes engagés avec bonhomie. « Merci de vous être fait chier avec le passeport vaccinal », a-t-elle glissé avant d’aligner des versions bien cuivrées de Dans le bout.E du stade, Scroll Down ou encore de Geisha sometimes, cowboy tout l’temps. Le saxophone de Valérie Lachance-Guillemette, plus présent que sur disque, échangeait lascivement avec les cordes électriques de Kèthe Magané et les claviers d’Arthur Evenard.

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Valérie Lachance-Guillemette, saxophoniste

À mi-parcours, Calamine a laissé tomber la chanson d’amour inédite Jour de pluie. « Mon rêve, c’est de faire une toune de gouine et que les hétéros me disent : “Yo, je te feele !” », a-t-elle lancé sous les rires et les applaudissements.

Derrière deux flamants roses et devant une foule conquise, la rappeuse s’amusait à retourner les stéréotypes du rap. « Mes t-shirts c’est des XL, les lesbiennes t’sais qu’on excelle, on va pas au Septième Ciel, mais damn, y sait que j’existe », chante-t-elle sur Mona Lise.

Même désir de se réapproprier les étiquettes avec sa nouvelle pièce Gouine officielle, fraction d’un second album qui pourrait très bien s’appeler « Lesbienne woke sur Autotune », en référence à une insulte qu’elle a reçue. En voilà une qui chérit l’aspect « jeu » de la « rap game ». Ce fut un jeu court – d’au plus 40 minutes – mais payant, samedi soir.