La grande dame acadienne de la chanson Édith Butler lancera vendredi un nouvel album, Le tour du grand bois, réalisé par Lisa LeBlanc. Une rencontre explosive entre deux artistes à la filiation certaine.

« Si j’avais eu une fille, ça aurait été Lisa. »

Au téléphone, Édith Butler ne tarit pas d’éloges envers l’auteure-compositrice-interprète qui s’est emparée de son répertoire pour lui donner une touche actuelle et rock’n’roll. À 79 ans, la chanteuse qui a fait connaître l’Acadie dans toute la francophonie depuis des décennies affirme être « sortie de ses vieilles chaussettes ». Et elle ne peut pas être plus fière de cet album lancé deux ans après avoir été enregistré, pandémie oblige.

« Après tout ce temps, quand on a parlé de le sortir, je l’ai réécouté… et je suis tombée à la renverse. Je me suis dit : oh, mon dieu, qu’est-ce qu’on a fait là ? C’est tellement bon ! Et je peux le dire parce que c’est Lisa qui a fait ça. C’est miraculeux. »

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C’est qu’Édith Butler avait donné carte blanche à sa jeune réalisatrice. Pourquoi une telle confiance ? « Parce que c’est un p’tit génie ! »

Un tempérament de feu, une énergie qui déplace des montagnes, un amour total pour la culture acadienne : beaucoup de choses unissent Lisa LeBlanc et Édith Butler, qui se connaissaient déjà avant de faire cet album.

« Je la connais depuis qu’elle a 16-17 ans, je l’ai vue grandir. » Si la chanteuse a littéralement « adopté » Lisa LeBlanc, cette dernière considère Édith Butler comme sa famille.

« C’est comme ma tante, Édith. On est devenues proches avec ce projet, mais avant, on s’aimait bien toutes les deux. C’est vrai qu’il y a des similarités dans nos carrières, dans nos personnalités. »

C’est lorsqu’elles ont chanté ensemble à l’émission Les échangistes il y a quelques années à Radio-Canada qu’a germé l’idée d’un album. « On a fait une de mes tounes et on a trop trippé. Elle a rocké ça… », nous raconte au téléphone depuis Moncton une Lisa LeBlanc enthousiaste.

« C’était way over, c’était awesome ! Édith Butler, c’est une estie d’queen. Une performeuse. Sur un stage, elle donne tout. »

Les deux chanteuses se sont ensuite retrouvées pour le grand spectacle du Congrès mondial acadien en août 2019, dont Lisa LeBlanc était la directrice artistique.

« J’avais arrangé Marie Caissie, qui est une de mes chansons préférées d’Édith. Je savais qu’on lui avait déjà proposé des concepts d’albums de duos… Alors, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai dit si vous êtes down, je l’entends déjà, l’album. On pourrait faire de quoi de vraiment cool. »

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Édith Butler fait partie des pionnières qui ont « mis l’Acadie sur la mappe », rappelle Lisa LeBlanc, qui apprécie cette tape dans le dos à sa juste valeur.

Qu’elle m’ait fait confiance comme ça… Je me pince encore. C’est drôle de se dire qu’on ne serait peut-être pas tout à fait à la même place si elle n’était pas passée avant.

Lisa LeBlanc

Lisa LeBlanc est heureuse et soulagée que l’album, « un special project fait dans le respect et l’amour », sorte enfin, près de deux ans après l’avoir réalisé. « C’est comme already vintage, rigole-t-elle. Je suis surtout contente pour elle, qu’il y ait un deuxième, un troisième, un quatrième vent comme ça. Et j’ai hâte que les gens voient Édith de la façon dont je l’ai toujours vue. »

L’idée était donc de respecter son côté roots, explique Lisa LeBlanc, tout en lui donnant « un petit edge » rock’n’roll « parce que c’est l’fun ».

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Lisa LeBlanc à l’été 2017 à l’occasion du spectacle Acadie Rock

« J’ai essayé de ne pas la dénaturer, mais de l’emmener à une autre place. »

Que gagnent les chansons de cette relecture ?

« Ça les rend actuelles, répond Édith Butler. C’est un répertoire qu’il faut garder vivant. Comme Marie Mouri, ce serait dommage que ce texte, qui avait été trouvé sur un esclave, se perde. C’est tellement magnifique, et prenant, et émouvant. Chacune de ces chansons, il ne faut pas les laisser mourir. »

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C’est ce qu’elle fait depuis ses débuts, garder le folklore acadien en vie. Mais alors qu’elle voit émerger avec bonheur toute une génération d’artistes acadiens, Le tour du grand bois est pour elle une manière de passer le témoin à Lisa LeBlanc.

« Il y a du talent là-bas qui sort de partout, c’est phénoménal. Mais pour moi, Lisa, c’est ma continuité. Je lui passe le flambeau. Maintenant, c’est à toi, go ! Je me sens tellement en paix. Je ne vais pas arrêter, mais je peux m’asseoir tranquille. À Paquetville ! », lance-t-elle en riant.

Énergie

Quand Édith Butler écoute Le tour du grand bois, non seulement elle le trouve « right on » et intemporel, mais elle s’y reconnaît complètement. « Toute l’énergie, toute la vie. Sur scène, je suis assez rock, mais pas nécessairement sur mes albums. Les gens me demandent souvent où je prends mon énergie. »

Mais ce qu’elle perçoit dans cet enrobage concocté par Lisa LeBlanc et ses musiciens, ce sont surtout des sons qu’elle entendait quand elle était jeune. « Le banjo, les violons, les grosses guitares à la Johnny Cash. C’est comme de l’ancien rock’n’roll, pas du heavy metal ! Si jamais je fais du heavy metal, rendue à mon âge, vous viendrez me dire d’arrêter ! »

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Édith Butler éclate de son grand rire communicatif, comme à plusieurs moments pendant l’entrevue. « Tu vas voir, tu vas tripper ben tight quand tu vas lui parler », nous avait avertie Lisa LeBlanc, qui retient surtout son côté game. « Elle embarque, elle donne toutte. C’est ça qui est cool. »

En fait, c’est tout le processus de création qui a été « cool et joyeux », raconte Édith Butler. Ce plaisir, on l’entend d’ailleurs sur l’album.

On a ri tout le long. Des fois, j’essayais de lui faire une belle ligne de voix… Là, Lisa me disait : ‘’C’est tellement beau ce que tu as fait. Mais on r’commence !’’ C’était pas ça qu’elle voulait entendre, une belle voix. Elle voulait du guts, que ça vienne du ventre. Elle l’a eu ! Elle m’a brassée… en douceur.

Édith Butler

Pour la chanteuse, il y a maintenant « un avant et un après Dans l’bois ». « Si, un jour, je fais un autre album, ce sera dans la lignée de celui-ci. Et c’est sûr que je vais aller chercher Lisa comme réalisatrice ! Mais ne le lui dites pas, elle ne le sait pas encore. »

De toute façon, il faut laisser vivre celui-ci, « digérer » toutes les émotions qu’il a fait naître, le chanter sur scène. « J’ai l’impression que je vais rouler avec longtemps. » Pour l’an prochain, elle rêve de donner 80 spectacles pour ses 80 ans. Et savoure pleinement le moment présent.

« C’est un cadeau que Lisa m’a fait. Il me semble que je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie. J’ai 79 ans et ça m’arrive ! C’est une surprise extraordinaire. Tout ce qui est là-dessus, c’est du vrai. Il n’y a pas d’artifice. C’est la vraie affaire. »

Le tour du grand bois

Folk rock

Le tour du grand bois

Édith Butler, réalisé par Lisa LeBlanc

Spectra Musique