Dans les années 2000, les gentilles filles de la pop culture américaine sont devenues des « bad girls » auxquelles rend hommage un intéressant compte Instagram, Popcultureangel. Dans cette étrange période — dernier âge d’or des paparazzis dont les tabloïds et les revues à potins achetaient les photos à forts prix avant que les vedettes ne s’exposent elles-mêmes sur leurs réseaux —, on se passionnait pour les folles virées de Paris Hilton, Nicole Richie, Lindsay Lohan et la débutante Kim Kardashian, les lunettes surdimensionnées des jumelles Olsen (et les problèmes alimentaires de Mary Kate), la rivalité entre Christina Aguilera et Britney Spears…

Comme plusieurs avaient été des enfants stars, certaines de l’écurie Disney, leurs dérapages affolaient l’Amérique. Cela n’a pas été la période la plus glorieuse des médias quand on se rappelle que les grandes chaînes de télé ont interrompu leurs programmes pour montrer en direct la sortie de prison de Paris Hilton, accusée de conduite en état d’ébriété, devant des centaines de photographes. Le réchauffement climatique ? #metoo ? Ça allait arriver plus tard.

D’entre toutes, celle dont la chute a été la plus spectaculaire est Britney Spears. Qui ne s’en est jamais tout à fait remise, d’ailleurs. Alors que ses collègues mènent généralement des vies plus rangées maintenant, Britney Spears, qui a aujourd’hui 39 ans, est depuis 12 ans sous tutelle, quelque chose de très rare dans le milieu du showbiz, et de très grave pour sa liberté individuelle.

Ce que l’on découvre dans le documentaire Framing Britney Spears, produit par une équipe du New York Times (offert sur Hulu et la chaîne FX aux États-Unis — il n’est pas encore accessible au Canada), qui fait beaucoup jaser depuis quelques jours. En particulier chez les fans de la première heure de celle qui fut la reine incontestée de la pop, et qui ont lancé le mouvement #freeBritney, qui ne cesse de gagner de l’ampleur.

Ils sont convaincus que la star envoie des appels à l’aide codés sur les vidéos de son compte Instagram, le plus étrange qu’on puisse suivre sur le réseau social. Souvent vêtue de shorts et de petits tops de gamine, les yeux charbonneux, elle est la plupart du temps seule à danser dans sa grande maison et à dire des trucs bizarres, comme si elle était une éternelle adolescente. Comme un petit oiseau dans une cage dorée.

Ce qu’on découvre dans ce documentaire est bouleversant : la misogynie crasse des médias, un manque total de sensibilité en ce qui concerne les problèmes mentaux, un père qui aurait été longtemps absent de la vie de sa fille et qui contrôle ses finances tandis qu’elle enchaîne les tournées, les albums et une résidence lucrative à Las Vegas, alors qu’elle a été jugée inapte à contrôler sa propre vie.

Je n’étais pas le public cible de Britney Spears lorsqu’elle est devenue une star avec… Baby One More Time, mais il était difficile de la manquer tant elle était partout. J’ai suivi ses déboires avec une fascination mêlée d’une peine proche d’un spasme maternel qui me faisait dire « pauvre petite, lâchez-la ». Dès le début, il y avait un malaise, quand on ne se gênait pas pour lui poser des questions sur sa virginité. Verrait-on aujourd’hui des questions pareilles en conférence de presse ?

La descente aux enfers a commencé après sa rupture avec Justin Timberlake, égratigné dans le documentaire, où des observateurs affirment qu’il a dirigé le « narratif » de cette rupture, notamment avec le tube Cry Me A River, où il laissait clairement comprendre qu’elle l’avait trompé. On peut aussi l’entendre dire dans une émission de radio de gars hilares que oui, il avait « baisé » la vedette à l’aura virginale, et on n’en revient pas lorsque l’animatrice Diane Sawyer demande à Britney Spears, en larmes dans une longue interview, « mais qu’est-ce que tu as fait ? », comme si dans une séparation, on n’était pas deux à danser le tango. Timberlake est maintenant pris à partie sur les réseaux sociaux par les fans de Britney, certains affirmant qu’il a bâti sa carrière sur le « slut-shaming » de Britney. Sans oublier ce double standard lors du scandale du sein dévoilé de Janet Jackson au Super Bowl, qui a jeté la chanteuse dans la tourmente alors qu’il n’a pas été inquiété.

PHOTO FRAZER HARRISON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des fans de Britney Spears ont assisté à la manifestation #FreeBritney devant le tribunal de Los Angeles en septembre 2020.

Les choses empirent lorsqu’elle devient mère, pourchassée par des hordes de photographes de plus en plus voraces. Ça fait peur à voir, imaginez à vivre. La moindre petite bourde et on juge ses compétences parentales sur tous les plateaux. Alors qu’elle est dans une bataille avec Kevin Federline pour la garde de ses enfants, elle sombre. On l’a vue se raser la tête, frapper la voiture d’un paparazzi, s’étourdir avec des amies dans des bars, jusqu’à ce qu’elle soit transportée d’urgence à l’hôpital pour une évaluation psychiatrique. On n’a jamais vraiment su de quoi elle souffrait. Pendant ces années sombres, on n’a pas de nouvelles de son père, Jamie Spears, qui obtiendra la mise sous tutelle permanente en 2008.

Ce père absent, qui aurait eu des problèmes d’alcool et qui aurait affirmé, selon l’une des personnes qui ont travaillé avec la famille Spears à ses débuts : « Ma fille va devenir riche et elle va m’acheter un bateau. »

Le documentaire laisse entendre qu’elle aurait accepté cette tutelle, alors qu’elle était extrêmement vulnérable, pour pouvoir voir ses enfants. Cela signifie le contrôle total sur qui elle peut fréquenter, son dossier médical, ses cartes de crédit, ses contrats, etc. Adam Streisand, un avocat qui a tenté de représenter Spears, affirme qu’elle a clairement signifié qu’elle ne voulait pas que son père soit son tuteur. Un rapport médical a déterminé qu’elle ne pouvait être représentée, et l’avocat n’a jamais pu savoir ce qu’il y a dans ce rapport.

Vous savez ce que cela me rappelle ? Alys Robi, à cette différence qu’heureusement, on ne pratique plus de lobotomie de nos jours. Mais il existe bien d’autres façons d’aliéner quelqu’un. Comme aucun membre de l’entourage très restreint de Britney Spears n’a participé à ce documentaire, il y a des zones d’ombre, on reste sur notre faim. Mais il lance un questionnement important : à quel point ceux qui contrôlent la vie de la chanteuse ont-ils vraiment à cœur ses intérêts quand il y a tant d’argent en jeu ? Comment une femme jugée inapte a-t-elle pu faire ensuite quatre albums, quatre tournées et une résidence à Vegas ? « Le business de Britney est devenu un cercle fermé à cause de la tutelle, soutient le journaliste du New York Times Joe Coscarelli. Elle vit l’existence d’une chanteuse pop et en même temps, on dit qu’elle est à risque. »

PHOTO STEVE MARCUS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Britney Spears sur la scène de l’hôtel-casino Park MGM à Las Vegas, en 2018

D’ailleurs, on voit un moment très particulier dans le film lorsqu’est annoncée en grande pompe sa deuxième résidence à Vegas, en 2018. Un gros pétard mouillé. Elle se présente et passe tout droit, sans parler aux journalistes ni aux fans. Elle annulera plus tard ce contrat, prétextant les ennuis de santé de son père. En août dernier, elle a demandé en cour qu’il soit retiré de la curatelle, ce qui ne lui a pas été accordé. En décembre, il est devenu co-conservateur de ses avoirs avec une firme. Il ne faut pas oublier que dans ce combat, c’est la chanteuse qui paye les avocats de tout le monde. Elle aurait aussi reconnu dans un document le bien-fondé du mouvement #FreeBritney, ce qui a fait redoubler d’ardeur ses fans. Bref, cette histoire-là n’est pas terminée.

Tout aussi troublant est le miroir tendu par Framing Britney Spears qui renvoie l’image d’une société d’une cruauté inouïe envers une très jeune femme qui n’a pourtant fait de mal à personne. On y voit des comportements qui seraient sévèrement dénoncés aujourd’hui, la preuve qu’on avance à petits pas, cependant que Britney Spears demeure confinée dans sa bulle, et ce, depuis 12 ans. « Nous devons tous des excuses à Britney », disent maintenant ses défenseurs qui veulent qu’elle retrouve sa liberté.