Les instruments de musique évoluent, comme les équipements de sport.

Ceux qu’on joue dans les orchestres symphoniques en ce moment sont plus puissants et plus stables que leurs ancêtres. Avec des clés et des pistons, on a rendu le jeu des instruments à vent plus virtuose, leur justesse plus uniforme.

Pourtant, trois ensembles montréalais qui proposent ces jours-ci des concerts à découvrir en ligne ont en commun d’utiliser uniquement ce qu’on appelle les « instruments anciens ». Parfois, ce sont de véritables instruments historiques, fabriqués au XVIIe ou au XVIIIe siècle, plus souvent des copies.

Difficile d’imaginer l’intérêt d’un Tour de France sur vélo historique, mais la musique est un autre genre de promenade.

On emploie souvent la même image pour décrire comment la musique baroque a été transformée par le retour aux instruments d’époque : c’est comme la restauration d’un tableau ancien, encrassé par trois siècles de poussière et de suie, dont on voit enfin les vraies couleurs. Il était sévère et sombre, il devient soudain vif et léger.

Un exemple ? Un peu de Couperin à la sauce Paillard, chef français du milieu du XXe siècle.

François Couperin, L’Impériale, orchestre de chambre Jean-François Paillard, 1968

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Le même extrait, enregistré en 1983 par l’ensemble Musica Antiqua de Cologne.

François Couperin, L’Impériale, ensemble Musica Antiqua de Cologne, 1983

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Au début des années 1980, quand se multiplient les enregistrements de Musica Antiqua, le ciel s’ouvre, la musique baroque française a soudain des ailes.

Mais rapidement, les interprètes jouant sur des instruments modernes ont répliqué : ils se sont informés, ont compris qu’en s’inspirant des instruments anciens, on pouvait donner un grand coup de fraîcheur à la musique baroque.

C’est à cette époque et dans cet esprit que sont nés les Violons du Roy, à Québec.

Les instruments modernes sont plus sonores, leur justesse est plus uniforme et plus stable. En améliorant le style de jeu, avions-nous découvert le « meilleur des deux mondes » ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Noémy Gagnon-Lafrenais et son violon ancien avec des cordes faites de boyau

Pas tout à fait : « l’instrument ancien est irremplaçable, si on s’attache à l’expérience sensorielle », selon Noémy Gagnon-Lafrenais, violoniste à la tête d’un récent concert d’Arion.

À la fin de sa formation de violoniste « moderne », à San Francisco, Noémy a étudié ce qu’on appelle l’interprétation historique, pour apprendre à bien rendre le discours baroque sur son violon moderne. Mais c’est quand on lui a prêté un instrument ancien que tout a pris sens pour elle.

Comment expliquer cette valeur ajoutée ?

« D’abord, les cordes, c’est le point de départ pour changer notre conception sonore. Elles sont faites de boyau, un matériau animal, au son beaucoup plus moelleux que la corde de métal du violon moderne. Le boyau vient avec ses difficultés : il est poreux, vivant, donc beaucoup plus sensible à l’environnement : la main gauche doit être très réactive, s’ajuster constamment à des micro-différences. »

L’autre enjeu important, c’est la résonance. « L’instrument est beaucoup moins tendu que le violon moderne, donc moins puissant. On cherche la légèreté, pour pouvoir le laisser vivre dans l’espace, sans le coincer dans le cou comme le violon moderne. »

Concerto grosso opus 6 no 11 de G. F. Handel, Noémy Gagnon-Lafrenais et l’orchestre Arion

La célèbre école Juilliard, à New York, a compris que les instruments anciens étaient là pour de bon. Chaque année, elle sélectionne moins d’une quinzaine d’instrumentistes de ce courant et les accueille tous frais payés. Noémy a eu la chance de suivre ce programme de deux ans, en 2013-2014.

Une génération plus tôt, Geneviève Soly avait dû se rendre en Europe pour vivre le choc des instruments anciens. Même si ses parents, Mireille et Bernard Lagacé, sont des pionniers du mouvement de la musique ancienne au pays, même si elle a écouté en temps réel les premiers disques mettant en valeur les instruments d’époque, la véritable révélation a été de jouer sur les orgues historiques d’Innsbruck, en Autriche.

Là-bas, elle s’est fait dire par les maîtres : « On vous donne accès à l’information, aux traités d’époque, aux partitions. Maintenant, demandez à l’instrument de vous apprendre à jouer. »

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE


Geneviève Soly et son clavecin

Pour Geneviève Soly, ce principe s’explique facilement : « Le compositeur tenait compte des instruments de son époque en écrivant. Il connaissait, par exemple, toutes les inégalités du cor naturel et s’en servait d’une manière expressive. En revenant à l’instrument d’époque, on se rapproche de l’intention du compositeur. »

C’est ce qui l’a décidée à fonder Les idées heureuses, il y a plus de 30 ans, pour ne plus revenir en arrière : « J’ai joué avec des orchestres modernes, mais j’étais de plus en plus insatisfaite, et on me traitait d’ayatollah ! »

Ce n’est pourtant pas un dogme : c’est le timbre qui inspire Geneviève. « Un seul jeu d’un orgue du XVIsiècle, par sa façon de chanter, peut changer complètement la manière de jouer une mélodie. »

Quand je lui demande quel instrument ancien modifie le plus radicalement l’expérience musicale, elle pense à la flûte traversière : « En remplaçant la flûte moderne, toute en métal, par un instrument de bois, on change d’univers sonore. »

Extrait de Jan Dismas Zelenka, Alma redemptoris Mater, qui sera interprété au prochain concert des Idées Heureuses

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Inconditionnelle des instruments anciens, Geneviève Soly demeure tout de même la fan numéro un de son fils aîné, l’humoriste Arnaud Soly, même quand il joue une flûte à bec moderne en plastique… avec son nez : tout est affaire de contexte !

Le concert L’étoile de la mer des Idées heureuses sera capté le 6 décembre et diffusé ultérieurement en ligne.

> Consultez le site des Idées heureuses

> Consultez l’offre en ligne d’Arion orchestre baroque

Le Studio de musique ancienne de Montréal présente un concert Bach jeudi, offert en ligne jusqu’au 3 décembre.

> Consultez le site du Studio de musique ancienne de Montréal