Cet été, des artistes plongent dans leurs souvenirs pour analyser leur première œuvre professionnelle et nous raconter les souvenirs qui remontent en eux

En 1993, Lara Fabian a fondu en larmes en voyant ses parents arriver par surprise sur le plateau de Sonia Benezra. Son émotion s’est décuplée quand son père lui a remis un disque d’or pour son premier album éponyme, un geste qui témoignait de leur réconciliation, après qu’il eut désavoué le travail de sa fille en entendant les premières chansons enregistrées. Tout cela à cause d’un malentendu…

À l’origine, aucune maison de disques ne voulait de Lara Fabian. Qu’à cela ne tienne, la jeune artiste et son partenaire de l’époque, Rick Allison, ont produit l’album de façon indépendante dans un petit studio belge.

On a fait ça tout seuls avec les sous de mon père, qui nous a donné 20 ans d’économies à ramoner des cheminées.

Lara Fabian

Quand est venu le temps de faire entendre le fruit de son labeur à son père, elle lui a donné – sans le savoir – une cassette démagnétisée : qualité altérée, sons étouffés, mots tronqués ou effacés, consonnes manquantes. « Lorsqu’il m’a contactée, il a dit qu’il ne s’attendait pas à ce que son investissement serve à faire quelque chose d’aussi peu audible et de mauvais… C’est une courbe du destin que je n’avais pas prévue ! Ça a créé une grande déception entre la personne qui avait nourri ce rêve et moi qui le proposais. »

Ressentant le besoin de « mettre un océan entre sa colère et elle », Lara Fabian a déménagé au Québec. « Je me suis sentie disqualifiée et je suis partie, en me disant : “T’aimes pas ça, c’est pas grave. Je vais te prouver que t’as tort.” »

Longtemps après avoir récupéré la fameuse cassette, elle a écouté ce que son père avait entendu. « Je me souviens encore de mon visage en enlevant le casque d’écoute et en le tendant à Rick. C’était de la marde… Je réalisais qu’on avait défait un espoir et brisé un cœur. On était partis. Comment pouvait-on réparer ça ? »

Un silence de plusieurs mois s’est installé entre elle et son père. Durant cette période, la chanteuse a travaillé dans un fast-food, dans un supermarché et dans des bars. « Je me changeais dans les pièces réfrigérées et je chantais dans les bars quand la cigarette était encore permise. C’était difficile. Mais je ne serais pas qui je suis si je n’avais pas été formée à cette époque. On dormait dans la voiture et on allait partout, de Val-d’Or à Havre-Saint-Pierre. »

De la tendresse

Au début des années 90, malgré toute sa volonté, sa confiance en elle était extrêmement limitée. « Je prenais ma confiance dans celle que les autres avaient en moi. Je me suis souvent servie de cette lumière que Rick projetait sur moi pour nourrir ma confiance. »

Aujourd’hui, elle dit porter un regard plein de tendresse sur la femme de 21 ans qu’elle était durant la création de son premier opus. « Je me dis : “Pauvre petite poulette !”, s’exclame-t-elle en riant. Avec le recul, je vois toutes les limites à l’intérieur desquelles je me trouvais, la volonté de bien faire et les extravagances issues d’une insécurité. »

Elle cite la chanson Pourquoi pas l’exotisme pour illustrer son ancien besoin de trouver des formules intéressantes, mais décalées d’un sentiment qu’elle aurait pu exprimer plus directement.

C’était tout sauf ce qui me traduisait avec transparence. Maintenant, j’ai beaucoup de tendresse pour la fille qui masquait ses insécurités et qui avait besoin de plaire à tout prix. Elle avait peur que ce qu’elle était ne soit pas suffisant…

Lara Fabian

Lara Fabian précise qu’elle ne se sentait pas bien durant ses années en Belgique. « J’avais du mal à trouver ma place. Quand je suis arrivée au Québec, j’ai découvert une identité culturelle tellement plus proche de ce que j’avais envie de vivre. J’ai eu le sentiment immédiat que j’avais le droit d’être qui j’étais, même parfaitement imparfaite. »

Cette dualité est particulièrement perceptible quand elle décrit le processus de création de son premier album. « C’était naturel pour moi de me mettre derrière un micro pour chanter pour la première fois, mais j’ai dû apprivoiser le fait de m’écouter, de lire les textes que j’allais enregistrer et de me voir en photo. C’était très difficile. »

Lancé à l’été 1991, son album éponyme est plus qu’une succession de chansons. « C’est surtout l’étape qui m’a permis de franchir d’infinies limites et de grandes peurs. Cet album a été le champ de tous les premiers possibles pour moi. J’ai découvert toute la persévérance dont je suis faite. » Une force intérieure qui lui a permis de surmonter quantité d’obstacles, de paroles douloureuses et un déménagement sur un nouveau continent pour renaître.

Entre l’enregistrement en studio et la réconciliation père-fille, plusieurs mois ont passé. « Quand papa entendra la bonne version de mon album, j’aurai eu trois jobs de jour et de nuit. J’aurai chanté dans tous les bars du Québec. Jean-Pierre Coallier m’aura invitée à Ad Lib. J’aurai fait des festivals. Beaucoup de chemin avait été fait. Mais le jour où papa m’a remis le disque platine en étant fier de moi, ça fait partie des grands moments de ma vie. »

Regardez Lara Fabian à l’émission de Sonia Benezra (YouTube)