De-Dah de l’ancêtre Elmo Hope, Bésame mucho de l’arrière-grand-mère Consuelo Velázquez en version jazzifiée, esthétique de la période 1955-1965… Eh ben !

Peu après avoir lancé l’album Finding Gabriel, vaste métaphore inspirée par la période trouble que traversent nos voisins du Sud, de surcroît l’un des projets les plus audacieux de son entière discographie, Brad Mehldau réunissait hier un quintette à la manière des frères Marsalis en début de carrière.

À la Maison symphonique, en tout cas, on ne cherchait pas à communiquer avec l’archange Gabriel afin qu’il nous révèle la destinée du chaos états-unien !

Déjà au début des années 80, cette façon de jouer n’était-elle pas jugée chose du passé ?

Et alors ? Il fallait y voir une intention purement classique de la part du pianiste, un musicien de son temps… et aussi un jazzman ancré dans la tradition. Et si on est un jazzman de réputation internationale, il faut parfois s’inscrire dans des esthétiques issues d’époques antérieures à la sienne, comme le font les interprètes classiques depuis… des siècles.

Ainsi, l’aguerri ténorman Joel Frahm, le trompettiste visionnaire Ambrose Akinmusire, l’impeccable batteur Leon Parker et l’imperturbable contrebassiste Joe Sanders entouraient Brad Mehldau dans cet exercice de conservation historique.

Lorsque toutefois le groupe a amorcé Kurt Vibe, composition originale de Mehldau inspirée du guitariste Kurt Rosenwinkel, nous nous sommes sentis un peu plus près de 2019; impros plus actuelles dans leur articulation, constructions harmoniques plus contemporaines, le tout assorti d’un amalgame de ragas indiens modifiés et de percussion corporelle, gracieuseté de Leon Parker. Divertissant…

Et nous revoilà dans le passé avec Yearnin’ du grand compositeur et arrangeur Oliver Nelson, blues tiré de son fameux opus The Blues and the Abstract Truth. On y observe la rigueur totale des interprètes mis de l’avant et… la grande singularité de la trompette qui se démarque. Puis c’est Brownie Speaks de Clifford Brown, hardbop mis au point par le plus virtuose des trompettistes afro-américains dans les années 50… mort tragiquement dans un accident de voiture. Pour le pianiste vedette, ce sera une occasion de démontrer sa capacité de remodeler ce que suggère une œuvre sexagénaire.

On enchaîne avec la suave Pannonica, ballade de Thelonious Monk dédiée à la fameuse mécène du jazz moderne, la baronne Pannonica de Koenigswarter. Rappel à l’horizon… et on aura une fois de plus constaté que l’énorme popularité de Brad Mehldau repose sur un dosage optimal de conformisme et d’audace conceptuelle… d’où cette Maison symphonique à guichets fermés pour un concert de fort belle tenue malgré sa prévisibilité.