Paul Daraîche et Dramatik n’ont a priori rien en commun. L’un est un chanteur country qui a fait plus de 100 albums seul ou en groupe. L’autre est considéré à la fois comme un vétéran et un artiste émergent, après presque 30 ans de rap. Rencontre improbable entre un MC de Rivière-des-Prairies et un cowboy de La Plaine.

La Presse : Musicalement, le rap et le country semblent aux antipodes. L’authenticité n’est-elle pas toutefois une valeur importante pour vos deux genres musicaux ?

Paul Daraîche : Le country, c’est le blues des Blancs. On parle des vraies affaires.

Dramatik : Je dirais que si le country est le blues des Blancs, le rap est le nouveau blues des Blacks.

Paul Daraîche : Le rap, comme le country, c’est authentique. Tu dis les vraies affaires.

Dramatik : Si tu as mal, tu ne passes pas par quatre chemins. À la base, c’est comme un cri, un pleur. Tu pleures ta blonde. Pour toi, c’est la guitare ; pour un autre, c’est le drum machine, le micro et voilà. À la base, c’est une thérapie.

Paul Daraîche : C’est vrai que c’est une thérapie. Dire les vraies choses, c’est une thérapie.

Dramatik : L’impact que ça a sur les gens qui le reçoivent, c’est la même chose. Si une personne connecte avec ta chanson, ça va lui servir de trame sonore pour sa vie.

Paul Daraîche : C’est ça, notre but, au fond : toucher les gens. On vit tous la même chose, et si on écrit des bonnes affaires, les gens vont se reconnaître.

Dramatik : Je vois ça dans les commentaires sur YouTube. Il y a des gens qui disent : ça me touche ; ça, c’est ma chanson. Parfois, c’est juste une ligne, mais ce que ça veut dire pour eux est important.

La Presse : Peut-on tout dire en chanson ?

Dramatik : Je m’autocensure parfois. Il y a des thèmes que je pourrais aborder si j’étais ado ou jeune adulte, mais, comme j’ai de jeunes enfants, j’ai une espèce de responsabilité. Tout ne doit pas être dit, il y a des portes qui doivent rester fermées. Comme pour l’alcool et le whisky : il y a un âge pour le prendre.

Paul Daraîche : Il y a des choses qu’on ne dit pas. Ou il y a des façons de le dire, de le faire comprendre sans le dire, des fois. C’est ça, la force d’un texte, au fond : faire comprendre quelque chose sans le dire.

La Presse : Paul, tu as cinq enfants. Dramatik, tu en as quatre. Être père et donner des concerts les soirs et les fins de semaine, c’est comment ?

Paul Daraîche : C’est très difficile, quasiment pas faisable. J’ai eu un premier mariage qui n’a pas tenu parce que j’étais toujours parti et, en plus, j’étais jeune. Le deuxième, je me suis dit : ça va tenir. Ma femme vient à tous mes spectacles. Mes enfants sont venus en tournée avec moi partout. Je leur faisais manquer l’école…

Dramatik : Pareil pour moi !

Paul Daraîche : J’allais chercher leurs devoirs et je disais : je m’en vais en tournée. Ils ont grandi avec moi en tournée ; aujourd’hui, ils chantent avec moi. C’est la seule façon de garder une famille pour un artiste, parce que tu n’es jamais là…

Dramatik : Moi, c’est pareil. On part avec les enfants et si le show finit tard, c’est sûr que le lendemain, ils restent au lit. Je signe un papier disant qu’ils vont être là l’après-midi. Mes enfants sont là tout au long du processus.

Paul Daraîche : Et ce sont tes premiers auditeurs ?

Dramatik : Oui et s’ils n’aiment pas ça, c’est un signe. Si la chanson est trop compliquée, s’il y a trop de mots, trop de concepts, s’ils n’arrivent pas à s’en souvenir… J’oublie ça !

Paul Daraîche : Les vraies bonnes sont simples, hein ?

Dramatik : Mes enfants chantent sur mon disque, aussi.

Paul Daraîche : On a ça en commun !

Dramatik : Les enfants aident à garder le cœur sensible. Quand tu écris tes musiques, tu t’arranges pour qu’il y ait un frisson dans chaque ligne.

Paul Daraîche : C’est comme ça qu’on touche les autres aussi. Moi, j’ai commencé avec ma famille. Après, la Famille Daraîche, c’est ma sœur, ma nièce et l’une de mes filles. J’ai une fille qui est non voyante, c’est elle.

Dramatik : Est-ce que ta fille non voyante a développé quelque chose de spécial avec la musique ?

Paul Daraîche : Oui, d’abord parce qu’elle a l’oreille absolue. Elle est forte en musique, c’est une bassiste écœurante et elle chante super juste. Elle adore ça, elle passerait sa vie en tournée avec moi !

La Presse : Trouvez-vous que la reconnaissance tarde à venir pour le rap et le country ?

Paul Daraîche : On s’est habitués, dans le country, à être snobés des médias, à être underground. On ne fait pas ça pour devenir des vedettes, mais parce qu’on a des choses à dire et qu’on a envie de chanter des chansons. On le fait par amour. On a crevé de faim longtemps. On est dans un monde à part. Mais il y a 110 festivals country où il y a 10 000 ou 15 000 personnes dans un champ. Il n’y a pas un autre genre musical comme ça !

Dramatik : C’est les médias qui sont le pont entre l’offre et la demande. Paul montre que le country, c’est populaire. Alors si c’est populaire, ce n’est pas underground. La seule différence, c’est le style musical sur lequel sont braqués les projecteurs : s’ils sont « on », le monde est au courant ; une fois que c’est « off », le monde ne le sait plus. Le rap, c’est partout en ce moment. Aux États-Unis, c’est le style le plus populaire, mais il y a encore une barrière qui n’a pas été franchie, je pense.

Paul Daraîche : C’est un peu ça, le country. Il y a encore une petite barrière…

Dramatik : On dirait qu’il y a quelqu’un qui tient la barrière. On protège quoi, en fait ?

Paul Daraîche : C’est parce qu’on ne fait pas partie de l’establishment. Ce n’est pas intello d’être country ou d’aimer le country…

Dramatik : On parle de meurtres et de bombes qui explosent dans La Presse… Ce n’est pas ma musique qui va causer de tort ! Le fait d’attendre a quand même créé quelque chose : ça fait 27 ans que je fais de la musique et j’ai réalisé que je préfère être du charbon qui brûle pendant toute la nuit qu’un feu d’artifice qui va briller 10 secondes.

Paul Daraîche : C’est bon, ça !

Dramatik : Le charbon tient ta famille au chaud toute la nuit pendant l’hiver. Tu penses qu’il est mort et tu y touches…

Paul Daraîche : … et il brûle encore !

Les propos ont été édités pour des fins de concision.

Paul Daraîche, à la salle Wilfrid-Pelletier ce soir, 20 h

Dramatik, sur la scène Desjardins le 20 juin, 23 h