De manière générale, les textes de chansons écrits en langue familière – joual pur jus du lac Saint-Jean dans le cas qui nous occupe – touchent des publics exclusivement enclins… à la langue familière. Peu de chansons ainsi concoctées arrivent à s’imposer au-delà de leurs cercles «naturels» par la force brute de leur pensée, par leur véritable éloquence populaire, par leur grande sensibilité.

C’est ce que réussit Sara Dufour avec un talent débordant, étincelant, pétillant, écumant. Plein de vie, comme le dirait John Fante.

Une visite au Dépanneur Pierrette, premier album sorti il y a un peu plus de deux ans par cette fille de Dolbeau-Mistassini, nous avait mis la puce à l’oreille. Il y avait dans son travail assez de «spray net pour que ça pète», comme Sara l’avait imaginé dans Gun à patate, excellente chanson assortie d’un clip hilarant.

Or, il y a beaucoup plus que le fun brut sur le vaste comptoir de Sara Dufour, dont l’esprit vif et la fleur de peau arrivent ex æquo au fil d’arrivée.

Une vie de femme s’y étale, vie de jeune femme ordinaire et déterminée à sortir de l’ordinaire. Femme qui aime ou qui n’aime plus, qui désire ou ne désire plus, femme aux exigences légitimement élevées pour l’homme qui daignera l’approcher. Femme qui ne cesse d’observer, femme qui se souvient de son adolescence, femme qui irradie la chambre à coucher, la cuisine, le salon, la cage du pick-up, la plage, le terrain de baseball, la forêt, le village, la ville, les Chic-Chocs, au Mcdo comme au Toqué!, semi-route ou semi-trail. Femme qui pense à toé, femme qui part vers l’Ouest parce que t’as pris l’nord, femme en dedans comme en dehors.

On ne s’étonnera pas que cet album ait été réalisé par Dany Placard au studio B-12 de Valcourt. Bleuet transplanté à Montréal, Placard est un artiste pour qui l’americana côté keb n’a pas de secrets. Ses propres créations chansonnières et ses collaborations marquantes, notamment aux côtés de la très douée Laura Sauvage, l’ont mené à aménager des espaces sonores à la mesure de cette chérie du lac Saint-Jean: surfaces rugueuses, recoins soyeux, matières tendres, viandes grillées, viandes crues, griffes acérées, battements de cils et plus encore.

Ancrées dans les références country, folk, bluegrass ou rock, les exécutions supervisées par Placard comportent leur lot de saletés et d’aspérités, à défaut de quoi on n’aurait pas la véritable chanteuse dans les oreilles.

Si Sara Dufour ne cesse de se botter le cul au cours des années à venir, comme elle l’a fait jusqu’à maintenant, elle repoussera ses propres limites littéraires et musicales sans se renier, sans se dénaturer, et deviendra ainsi une de nos grandes. Quoi qu’il advienne, voilà certes l’émergence régionale la plus percutante depuis celle de Lisa LeBlanc. À suivre de près!

* * * * COUNTRY, FOLK, ROCK. Sara Dufour. Sara Dufour. B-12.