Ses premiers disques, introuvables, sont enfin réédités. Et si on l'avait jugée trop rapidement?

De mémoire d'homme, aucune chanteuse ne fut aussi unanimement détestée.

On l'a vilipendée. Ridiculisée. Excommuniée. On l'a crucifiée, sans autre forme de procès, en l'accusant de terrorisme pseudo-expérimental.

Yoko Ono méritait-elle un tel acharnement? Pas si sûr. Alors que se poursuit l'exhumation en grappes de ses premiers albums, parus chez Apple et jusqu'ici introuvables, on peut se demander si la «corneille nippone» n'a pas été jugée trop rapidement. Car la redécouverte est de taille.

Une première ronde de rééditions a eu lieu fin 2016, avec Two Virgins (1968), Life with the Lions (1969) et le défrisant Yoko Ono Plastic Ono Band de 1970. La seconde vague vient tout juste de déferler, avec la sortie carabinée des disques Fly (1971), Approximately Infinite Universe (1973) et Feeling the Space (1973).

Ce catalogue, unique et sans compromis (sur le plan vocal, notamment !) ne s'adresse évidemment pas aux oreilles sensibles. Pas étonnant qu'à l'époque, la critique, encore émue par la séparation des gentils Beatles, ait cloué ces disques de «rock radical» au pilori.

Mais avec du recul, on comprend que ces albums étaient tout simplement en avance sur leur temps. Ils préfiguraient autant le punk que la pop décalée, le «noise» que la new wave, la no wave, la musique actuelle ou la musique électronique... sans oublier le propos résolument féministe, annonçant - 35 ans plus tôt - le phénomène des Riot Grrrls. Certains titres (Feeling the Space, Approximately Infinite Universe) sont plus accessibles que d'autres (Fly, Two Virgins). Mais en définitive, l'oeuvre n'a pas pris une ride.

On ne remerciera jamais assez les étiquettes Secretly Canadian (des États-Unis) et Chimera Music (copropriété de Sean Ono Lennon) d'avoir conjointement redonné vie à ce corpus éclectique, qui alterne violence et ultra-sensibilité. Merci tout spécial pour la réédition du disque Yoko Ono Plastic Ono Band, où les Beatlemaniaques retrouveront John Lennon et Ringo Starr dans un contre-emploi ahurissant de guerriers bruitistes lorgnant vers le hardcore et le blues expérimental qui déchire.

Une prochaine grappe de (re)sorties est prévue l'an prochain, avec les disques Season of Glass (1981), It's All Right (1982), Starpeace (1985) et le Wedding Album de 1969. Derniers morceaux d'une indispensable réhabilitation. Celle d'une artiste incandescente qui n'a jamais cessé d'être pertinente.