Qui l'eût cru? À 60 ans, Eurovision est toujours bien en vie. Fondé en 1956 pour réconcilier l'Europe d'après-guerre, le célèbre concours de la chanson a essuyé moults critiques, étant pour plusieurs le summum du kitsch. L'événement reste néanmoins une institution, en raison de ses immenses cotes d'écoute et de son improbable influence politique. En ce jour de grande finale, à Vienne, La Presse analyse cet étonnant «freak show», où le meilleur côtoie régulièrement le pire.

Les règles

Imaginez American Idol, version paneuropéenne. Chaque pays participant délègue un artiste, qui le représentera au concours. L'artiste pousse une chanson, qui est ensuite notée par un groupe de juges (chaque pays a sa délégation de juges) ainsi que par le grand public, qui peut voter par téléphone, SMS ou une application. Les meilleurs scores tournent généralement autour de 300 points. Certains artistes peuvent aussi récolter «nul points» (zéro), ce qui est considéré comme la honte suprême... ou comme une grande fierté, c'est selon.

Les candidats

Ce sont de purs inconnus (souvent) ou des vedettes établies (rarement). Ils sont âgés de 16 à 72 ans. Leur style varie entre la ballade, l'ethno-pop, le disco ou le rock. Ils chantent parfois très mal, parfois très bien, mais généralement en anglais, «pour se faire connaître par le plus grand nombre», explique le journaliste Paul Jordan, spécialiste d'Eurovision. Fait intéressant: ils ne sont pas tenus d'avoir la nationalité du pays qu'ils représentent. Céline Dion, par exemple, a chanté pour la Suisse en 1988, Nana Mouskouri, pour le Luxembourg en 1963, et c'est un Ukrainien qui représente cette année la Moldavie.

Le tremplin

L'histoire d'ABBA est connue. C'est après avoir interprété Waterloo à Eurovision, en 1974, que le groupe suédois a été propulsé en orbite. Mais son cas n'est pas unique. D'autres artistes, comme Céline Dion (1988), France Gall (1965) Julio Iglesias (1970) l'Italienne Gigliola Cinquetti (1964) et l'Allemande Lena (2010) ont tous lancé leur carrière internationale grâce au concours. Idem pour la chanson Volare, qui est devenu un super-tube aux États-Unis après avoir été «inaugurée» à Eurovision 1958. Dans la plupart des cas, cependant, l'aventure reste sans suite, beaucoup d'artistes retombant dans l'oubli, où se contentant de faire carrière dans leur pays d'origine.

Le kitsch

Créé par une association de réseaux de télévisions, Eurovision est d'abord et avant tout un «show de tivi». C'est pourquoi le spectacle se limite rarement à de simples performances vocales. Plus la prestation est visuelle, plus on tombe dans l'oeil des juges et du grand public. Rappelez-vous le groupe finlandais Lordi, gagnant de 2006... Pour Paul Jordan, alias «DEurovision», cette débauche d'euro-trash flamboyant «explique peut-être pourquoi Eurovision est si prisé du public homosexuel». Après avoir accueilli nombre de travestis (Verka Serduchka, Sestre, Dana International), le concours a d'ailleurs couronné l'improbable femme à barbe Conchita Wurst en 2014. Une extravagance de trop pour l'animateur anglais Terry Wogan, qui a comparé le concours à un «freak show».

La Politique

Officiellement, Eurovision se veut apolitique. Dans les faits, c'est tout le contraire. Depuis sa création, le concours n'a cessé d'être utilisé comme plateforme politique. Des exemples? En 1969, l'Autriche refuse de participer au concours organisé à Madrid, à cause de la dictature franquiste. En 1976, la Grèce se retire du concours pour protester contre l'invasion de Chypre par la Turquie. En 2009, la Georgie est disqualifiée pour avoir chanté We Don't Wanna Put In («On ne veut pas en tenir compte»), charge à peine déguisée contre le président russe Vladimir Poutine... qui vient d'envahir l'Ossétie. Les juges, de leur côté, n'hésitent pas à prendre position, votant parfois en bloc pour passer leur message. C'est ainsi que le Royaume-Uni a obtenu le score de «nul point» en 2003, après que Tony Blair a décidé d'envahir l'Irak...

En chiffres

27

Nombre de finalistes participant à l'édition 2015. Techniquement, le concours s'adresse aux pays européens ou «presque» européens (Israël, Turquie, Azerbaïdjan). Mais cette année, 

60e anniversaire oblige, il y aura aussi un candidat pour l'Australie (Guy Sebastian).

200 millions 

Nombre moyen de téléspectateurs pour une finale Eurovision.

15h 

C'est le début du spectacle, heure du Québec. On peut regarder le tout en direct sur le site officiel d'Eurovision (www.eurovision.tv/page/timeline).

Un seul gagnant, mais plusieurs favoris. À surveiller pour cette 60e présentation: la Suède (représentée par la pop star Måns Zelmerlöw), la Serbie (l'opulente Bojana Stamenov), la Russie (la jolie Polina Gagarina) et l'Italie (les ténors d'Il Volo).