Quelle différence entre Helmut Lotti et Helmut Fritz? On rit du premier, alors qu'on rit avec le second. Le faux-Allemand derrière le cynique tube dance Ça m'énerve a gagné les coeurs en France, décrochant des records de ventes. Un conte de fées auquel n'osait même pas rêver son créateur Éric Greff, de passage au Québec pour une improbable tournée de promotion.

«J'arrivais de Moscou où je suis allé faire de la promo, devant des gens qui chantent ma chanson par coeur, sans même connaître le français. Puis on me dit que je dois aller à Montréal», raconte, abasourdi, l'auteur-compositeur-imposteur Éric Greff, sorti de son personnage de Fritz.

 

«Au début, je pensais qu'il fallait toujours jouer le rôle - la posture, l'accent allemand - avec les journalistes. J'ai vite compris qu'avec la presse écrite, ça ne passerait pas. Mais les télés, elles, en raffolent: «Mon nom est Helmut Fritz, je suis né à Reinbek dans une manufacture de pulls de laine»», ajoute-t-il avec son accent ridicule.

Campé dans son personnage, cinglant, critique mais tellement débile qu'il en est attachant, Greff/Fritz a, à son grand étonnement, pondu la chanson de ralliement populaire de la crise économique en France. Position de tête dans les palmarès radio, records d'audience sur YouTube, détenteur du titre le plus (légalement) téléchargé en France en 2009... «Tout ça dépasse ce que j'aurais pu imaginer», dit-il.

L'idée est née un de ces mauvais matins. «Avant ça, je faisais dans la pop rock d'inspiration britannique. Mais ça ne décollait pas. Ce n'était jamais le bon moment, on se faisait dire que la tendance était plutôt au folk, un peu Renan Luce, tu vois... J'en avais marre. Je me suis levé un matin et j'ai griffonné cette chanson sur un coin de la table. Puis j'ai appelé mon ami: «Écoute, Momo, faudrait que tu me mettes une musique un peu électro, un peu barrée, parce que j'ai un texte complètement déjanté avec un concept que j'ai envie de créer...»»

Second degré

La chanson s'est retrouvée sur MySpace. Petit buzz, vite repéré par Sony, qui fait signer un contrat à l'artiste. La chanson est retravaillée par un DJ et producteur montant, Laurent Konrad. «Avant même la chanson, c'est le concept débile qui leur plaisait, le costume et l'accent un peu bizarre. Ils m'ont demandé: «Cette façon d'écrire, crois-tu pouvoir décliner ça en un disque?»»

Greff a répondu avoir plein d'histoires comme ça à coucher sur papier, des histoires un peu cyniques, critiques, comme Ça m'énerve. Et la France en raffole. «Parfois, on me dit que c'est un peu comme Katerine (et son J'adore), qui joue sur le second degré avec ses références bourgeoises» passées à tabac par le personnage, lui même un ex-bourgeois «ayant flambé un héritage de 300 millions de deutsche marks dans le luxe, pour ensuite essayer de se refaire en vendant des disques».

«C'est bien, je trouve, de descendre tout ce milieu parisien très bobo, très bourgeois, parce que d'habitude, la critique se fait dans l'autre sens. Ce sont les bourgeois qui critiquent le populaire, ceux qui ne connaissent pas les trucs branchés. Et que le personnage soit un faux dandy allemand, ça me donne l'impression d'avoir une légitimité additionnelle pour pouvoir critiquer ces gens-là, une certaine distance.»

Même s'il passe à la télé sans sortir du personnage qu'il s'est créé, Éric Greff n'a pas tenté de camoufler la blague. «Tout de même, y'a des gens qui sont venus me voir lorsque j'ai fait la tournée des clubs en France et qui me demandaient: «Mais pourquoi t'es là à faire la promo de ton disque? T'as hérité d'une fortune, tu pourrais t'acheter un yacht et faire le tour du monde?»»

Catalyseur d'un certain ressentiment, non pas à l'endroit de l'élite mais bien de l'opulence décadente, critique des affres de la vie moderne et branchée, Helmut Fritz s'amuse avec ses fans, aux dépens d'une riche minorité. «Certains ont été froissés par mes critiques. C'est qu'ils les prennent au premier degré.»

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