Au début des années 1990, fraîchement diplômé en communications, Francis Legault a quitté Montréal pour le Japon où il allait enseigner le français durant quelques mois. Dans ses valises, un engagement: réaliser des reportages sur le quotidien nippon pour l'émission radiophonique Ici comme ailleurs, animée par Michel Désautels, sur les ondes de Radio-Canada.

Vingt ans plus tard, lorsqu'on regarde la feuille de route de Francis Legault, on ne peut qu'être admiratif devant la cohérence du travail accompli jusqu'ici. Qu'il s'agisse des reportages réalisés pour l'émission du matin de René Homier-Roy ou de l'émission À la di Stasio, qui lui ont valu deux prix Gémeaux, Francis Legault est un artisan qui réalise un véritable travail d'orfèvre. C'est lui, par exemple, qui a conçu la série L'autre midi à la table d'à côté, cette rencontre radiophonique d'une heure entre deux personnalités qui ne se connaissent pas ou si peu (et qui reprend l'antenne samedi prochain, à 11 h, sur la Première Chaîne). Une émission qui, le temps d'une rencontre, nous fait découvrir les gens sous un jour différent. «J'ai voulu trouver une façon de faire une émission sans animateur, explique-t-il en riant. C'est un concept qui permet une autre dynamique et qui laisse la place à des rebondissements qui n'auraient pas lieu autrement.»

C'est également Francis Legault qui signe la série Une saison dans la vie de..., une heure durant laquelle on suit une personnalité le temps d'une saison marquante dans sa vie. La dernière, consacrée au comédien Claude Legault, est une rencontre-choc qui laisse l'auditeur presque sonné pas l'intensité et la vérité du comédien.

Comment fait le réalisateur pour s'incruster ainsi dans la vie de quelqu'un? «On regarde l'agenda de la personne puis on choisit des moments», explique celui qui a déjà affirmé se «transformer en mousse de nombril» durant quelques mois pour concevoir cette émission.

«Des fois, il arrive que la personne m'appelle et me dise: demain, je vais à tel endroit, tu devrais m'accompagner, ça risque d'être intéressant.»

Approche naïve

C'est une chose de suivre quelqu'un durant plusieurs heures, mais c'en est une autre de réussir à atteindre, comme c'est le cas avec Claude Legault, un tel niveau d'intimité.

Comment travaille-t-il? «Je ne suis pas quelqu'un de menaçant et je pose des questions somme toute assez simples et directes du genre: «C'est important pour toi l'amour?» Daniel Pinard (un ami avec qui il a déjà travaillé à l'époque de l'émission Les pieds dans les plats) dit que j'ai une approche naïve et je crois qu'il a raison. Je ne lis pas trop sur la personne, je n'arrive pas avec des idées préconçues, je me laisse imprégner.»

Le résultat, à mille lieues des confidences de stars, n'est jamais complaisant. «Au fond, j'ai toujours aimé me faire raconter des histoires, affirme le réalisateur-concepteur. Je travaille sur une ligne mince, je cherche les confidences intéressantes, mais pas gnangnan. Je veux l'intime, mais pas le potin. Quand Claude Legault nous parle de son expérience de travailler avec des amis sur 19-2, on se reconnaît tous. Qui n'a pas déjà rêvé de travailler avec ses amis? C'est peut-être quétaine, ce que je vais dire, mais ce que je souhaite, c'est qu'une fois qu'on a écouté l'émission, on en retire quelque chose, peu importe qui on est.»

Au fond, on peut dire que Francis Legault pratique l'art subversif du slow media, une approche lente et patiente qui lui permet d'atteindre une profondeur qu'on n'atteint pas souvent dans les médias électroniques. «J'adore l'image et j'adore faire de la télévision, mais à la radio, il n'y a pas la pression d'avoir la bonne image ou le bon clip. Quand j'ai débuté dans le métier, quelqu'un m'avait dit: «Si tu es capable de faire un reportage radio, tu peux tout faire», et il avait raison. À la télé, on peut toujours maquiller un mauvais reportage avec des images, mais à la radio, on ne peut pas tricher.»

«À vouloir aller trop vite, on perd les nuances et les demi-tons, poursuit le réalisateur. Je ne veux pas enlever les hésitations; les silences, ça révèle tout autant qu'une parole.»

Francis Legault me montre ses grands cahiers de notes où tout est consigné méticuleusement, souligné avec des crayons de différentes couleurs, hyperorganisé. «Je suis assez maniaque, reconnaît-il. Vendredi dernier, il me restait encore sept minutes à retrancher à l'émission sur Claude Legault qui devait être diffusée le lendemain. J'aurais pu enlever un bloc complet de sept minutes, mais ce n'est pas ainsi que je travaille. Je préfère écouter puis réécouter, enlever un petit bout ici et là. Je travaille comme un chercheur d'or et ça rendrait fou pas mal de monde. Heureusement, je travaille presque toujours avec le même monteur, Serge Brideau, qui me comprend même s'il rit parfois de moi.»

Vers la télé?

Francis Legault ne s'en cache pas, il rêve de transporter ses concepts d'émissions de radio au petit écran. «Je vois très bien L'autre midi à la table d'à côté à la télévision. On pourrait construire une fausse salle à manger qui serait truffée de caméras cachées, croit-il. Même chose pour Une saison dans la vie de... Avec une équipe discrète et un équipement léger, ce serait parfaitement faisable.»

Ce ne sont pas les idées qui manquent au réalisateur-concepteur, c'est plutôt l'audace des télédiffuseurs. «C'est devenu bien difficile de proposer des concepts différents qui sortent des sentiers battus, reconnaît-il. Les télédiffuseurs sont frileux. La radio, elle, est un carré de sable où on peut explorer bien des choses.»

«Aujourd'hui, on rigole quand on pense aux Beaux dimanches, mais c'était tout de même une très belle case horaire consacrée à la culture. Moi, je rêve d'une heure hebdomadaire qui serait une sorte de laboratoire où on présenterait toutes sortes de concepts. Pas un magazine culturel ni un quiz, mais un espace réservé à la création et qui ne serait pas diffusé à 2 h du matin. Si la science a sa case horaire avec l'excellente émission Découverte, pourquoi pas la culture alors?»

Les sources de Francis Legault

Francis Legault n'est pas ce qu'on peut appeler un technophile. Il possède un simple téléphone cellulaire, navigue peu sur l'internet et vient d'arriver sur Twitter (@flego66) après une brève initiation par l'animatrice-productrice Marie-France Bazzo. Il écoute René Homier-Roy le matin à la Première Chaîne. Il est également adepte des séries télévisées comme Les Tudor, par exemple, et se déclare «en deuil» de 3600 secondes d'extase, animée par Marc Labrèche. Il aime également beaucoup le magazine Voir, diffusé sur les ondes de Télé-Québec. «C'est de toute beauté, sans prétention. Le concept est plausible, c'est une très bonne émission.»