Dans La soif que j’ai, Marc-André Dufour-Labbé ne cesse jamais de croire en son alcoolo de narrateur, un petit bum au cœur grand.

Boucher est un de ces prisonniers d’une autre époque, chez qui la seule musique qui joue provient du Black Album de Metallica ou du premier Rage Against the Machine. Autrement dit : Boucher est de ceux pour qui il est impossible de ne pas avoir un peu de tendresse.

Mais pour un gars qui a écouté aussi souvent Know Your Enemy, Boucher n’est pas très doué pour identifier le sien, c’est-à-dire la personne qui, chaque lendemain de brosse, lui apparaît dans le miroir. Père seul de la petite Flavie, ce bum de mauvaise famille est à bout de souffle, bien que jamais à court de nouvelles bouteilles dans lesquelles trouver le courage de continuer.

Premier roman pour un lectorat adulte de Marc-André Dufour-Labbé (après Carreauté Kid, un livre jeunesse, en 2023), La soif que j’ai raconte le quotidien abracadabrant d’un malchanceux de naissance, dont le cœur est aussi grand que sa capacité à nier que la tristesse menace de l’avaler.

De party en party, de gueule de bois en gueule de bois, de décision calamiteuse en décision calamiteuse, le papa qui fait de son mieux se bat pour donner une image de lui-même indissociable d’une certaine conception de la masculinité selon laquelle être un homme, c’est demeurer imperméable à tout, y compris à la mort tragique de son amoureuse.

Dans une langue qui brasse, témoignant bien de ce qu’un français d’apparence pauvre peut avoir de riche, La soif que j’ai reconduit donc certains clichés pour mieux les déconstruire, en montrant comment la misère affective est un engrenage dont il est difficile de s’extirper, mais aussi en ayant foi en ce qu’il est possible de devenir un bon père, même si le sien a complètement failli à sa tâche.

Allergique au temps mort, Marc-André Dufour-Labbé ne sait pas toujours résister à l’ajout d’une énième péripétie flirtant avec le mélodrame, ce qu’on oublie vite, tant l’essentiel de ce roman tient à sa galerie de personnages, aussi singuliers que familiers, à commencer par ces petits vieux à qui son narrateur rend visite par charité (et pour leur vendre de quoi planer).

Son absence de jugement envers Boucher et ses chums, qu’il aurait aisément pu dépeindre en demeurés, donne à cette tragédie pleine de phrases qui font rire les allures d’une classe de maître en matière d’empathie.

La soif que j’ai

La soif que j’ai

Le Cheval d’août

152 pages

7/10