Elle s’appelle Jessica M., elle a 37 ans, un mari, deux enfants, et elle essaie d’écrire un roman. Désespérément.

Comment conjuguer maternité et écriture ? Est-ce seulement possible ? À quel prix ? La prémisse du dernier roman de Janis Locas (La maudite Québécoise) est tristement vieille comme le monde. Et disons qu’avec Moi, Jessica M., 37 ans, maman, malheureusement, publié ces jours-ci aux éditions Somme toute, l’autrice renfonce le clou sans ménagement.

Soyez averti, ça va saigner. Au sens propre comme figuré.

Vous croyez connaître le refrain ? C’est un peu plus compliqué ici, et dès les premières lignes, l’autrice met la table. Permettez qu’on résume : une jeune mère, Jessica Martin, se retrouve un soir sur son perron. Elle laisse derrière elle mari et enfants. Elle respire enfin, s’apprête à s’évader, savoure déjà sa « délivrance ». Or, alors qu’elle est à deux doigts de disparaître dans la nuit, un toussotement la fige net.

Correction : un toussotement fiche la narratrice net. Vous saisissez la nuance ? Dans un livre écrit comme un roman dans un roman, avec des mises en abîme multiples, Janis Locas s’amuse à brouiller les pistes, ce qui rend son texte d’autant plus puissant, et son propos senti. Le lecteur est carrément arrêté net dans son élan, à l’instar de la narratrice, sans doute de l’autrice, devine-t-on.

Et on devine juste. Rencontrée chez elle cette semaine pour en discuter, Janis Locas ne s’en cache pas. Il y a beaucoup d’elle dans cette narratrice qui tente d’écrire à tout prix un roman, ou plutôt une biographie, faut-il le préciser, une écriture qui lui permet d’insuffler un peu de poésie dans sa vie, par ailleurs plutôt terne et archi-routinière, ponctuée de tâches et autres nez à déboucher.

Une biographie de qui ? Un certain « Dave Feu ».

« C’est parti d’une idée il y a 15 ans, de faire un roman sur Dave St-Pierre, confirme Janis Locas d’emblée. Je l’ai connu en secondaire 5, l’année où il est tombé gravement malade. » Elle l’avait complètement oublié avec les années. C’est lors d’un souper de filles, à l’âge adulte, qu’elle a fait le lien : « Ben voyons donc, le petit Dave, tellement effacé, silencieux, est devenu un chorégraphe complètement trash ? »

Ainsi germait l’idée d’une biographie. Plus facile à dire qu’à faire. Car à la même époque, Janis Locas, également directrice de communications (Locas Communication), est aussi enceinte, en plein dans son deuxième congé de maternité. Vous devinez la suite ?

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Janis Locas, autrice

L’idée de faire un roman sur Dave [St-Pierre] est devenue l’idée de la mère débordée qui essaie de faire un roman sur Dave…

Janis Locas, autrice

Elle va rencontrer le chorégraphe à deux reprises pour le tenir au fait du projet. Celui-ci va d’ailleurs lui donner « carte blanche » (« mais ne fais pas mal à ma mère, elle n’a pas besoin de ça ! »).

Aux débuts de sa rédaction, Janis Locas est encore « dans le déni », signale-t-elle : « J’avais une vie pas possible de jeune mère, un conjoint qui travaillait fort, je passais mes fins de semaine seule avec les enfants, dont un très malade. Et j’essayais de garder le cap : faire ce que je faisais avant. […] Et ça m’a rendue gravement malade. » Non, toute ressemblance avec le roman n’est pas du tout fortuite.

« Mais attention, ce n’est pas la vraie vie, c’est une œuvre », rappelle-t-elle également, entre autres par l’entremise de toutes ces toiles tissées dans le texte.

Nombreuses inégalités

On ose ici la question de front : est-ce vraiment si foncièrement incompatible, écrire et élever des enfants ? Ce n’est pas une question ouverte, mais notre interlocutrice en a long à dire sur le sujet : « Oh mon Dieu », répond-elle tout de go.

Ce ne sont pas tant les enfants que le système dans lequel on vit, le problème ! Il y a tellement d’inégalités : à l’école, c’est extrêmement égalitaire […], mais quand on arrive dans la maternité, tout à coup, bang !

Janis Locas, autrice

« Le conjoint a beau être un super bon gars, jamais il n’a été question qu’il fasse du temps partiel, ou qu’il ne fasse pas de temps supplémentaire, poursuit-elle. Et moi, personnellement, je suis arrivée dans un espace où de facto, j’étais la deuxième. L’emploi du conjoint va passer avant. Encore aujourd’hui, ce sont les chiffres qui parlent : ce sont les mères qui prennent 45 des 52 semaines de congé parental. Et puis après, ce sont les pièges qui se tendent… »

À noter que si le titre vous en rappelle un autre, vous n’êtes pas seul. Et même si elle n’y fait pas du tout allusion dans le livre, Janis Locas voit plusieurs parallèles entre sa Jessica M. et le roman culte Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée (porté à l’écran en 1981), deux récits de détresse et d’isolement, assez bouleversants merci. « Je trouvais le parallèle intéressant. C’est un livre que j’ai lu à 12 ans. Dans les deux cas : le personnage central est une femme pas typique […] qui veut du pouvoir. […] C’est beaucoup plus tragique pour Christiane F., […] mon personnage ne prend pas d’héroïne, mais de la médication qui va aussi l’amener dans une déchéance », glisse-t-elle.

Soyez rassuré : quant à ses enfants, elle va, au fil des pages, lentement mais tendrement, finir par vivre de beaux moments de poésie avec eux (et leurs petits jeux de mots sont réellement de toute beauté). Ici ou là, mais pas tout le temps. Le roman se conclut d’ailleurs sur une note d’espoir. Elle devait cela à ses lecteurs (lectrices ?), nous dit ici Janis Locas. « À toutes celles qui se sont reconnues, il faut laisser une porte de sortie, avance-t-elle. Je ne voulais pas que ma Jessica M. soit une victime, je voulais qu’elle trouve des solutions. » On vous laisse découvrir lesquelles.

Moi, Jessica M., 37 ans, maman, malheureusement

Moi, Jessica M., 37 ans, maman, malheureusement

Somme toute

245 pages