Après un premier recueil de nouvelles qui avait remporté le prix Trillium en 2020, le scénariste et traducteur d’Ottawa Paul Ruban revient cette fois-ci avec un roman à l’humour tout aussi décapant. Et si la littérature est bel et bien une forme de divertissement comme il le croit, on peut dire sans hésiter qu’il a de nouveau réussi son coup avec Le parfum de la baleine.

Le contexte du roman n’aurait pu être plus approprié pour un huis clos. Ni plus loufoque, d’ailleurs.

Le parfum de la baleine raconte la semaine dans un tout-inclus d’un couple qui cherche à raviver la flamme éteinte de sa relation, en s’offrant des vacances au soleil… en compagnie de sa fille adolescente. Mais une fois dans ces lieux prétendument paradisiaques, une mauvaise surprise les attend : une baleine s’est échouée sur le rivage, répandant une puanteur atroce au point de forcer tout le monde à porter un pince-nez.

« Le roman est vraiment arrivé avec cette image un peu saugrenue et déroutante d’une carcasse de baleine sur la plage d’un tout-inclus, confie Paul Ruban, de passage à Montréal cette semaine. Il y avait quelque chose dans le contraste de cette image que je voulais explorer et qui me rappelle la phrase de Kundera : “Il y a peu de choses qui séparent l’horrible du comique.” »

C’est ce que j’essaie de traquer dans mon écriture : cette espèce d’entre-deux, entre les rires et les pleurs.

Paul Ruban

L’humour est également un excellent moyen selon lui pour aborder ces choses « peut-être plus dérangeantes » en filigrane : le dilemme d’une mère écoanxieuse qui rechignait à prendre ces vacances dans le Sud ; la menace d’une séparation latente ; la détresse d’une adolescente prise entre deux feux, qui fuit les chamailleries de ses parents en dessinant compulsivement sur son ardoise magique.

Le ton aurait facilement pu être dramatique, mais la légèreté comme l’absurde s’invitent avec naturel dans le roman. Le tout, teinté par cet humour noir irrésistible, découvert dans son recueil de nouvelles, Crevaison en corbillard.

« Le tout-inclus est un microcosme délicieusement ridicule, un riche condensé de tous les travers de notre société. On dirait que les règles qui s’appliquent en société ne s’appliquent pas dans un tout-inclus, que c’est une parenthèse de nos vies où, souvent, le pire de nous-mêmes ressort. Et donc, je me suis beaucoup amusé avec la facette parfois ridicule du lieu parce que c’est une bulle artificielle, en quelque sorte. »

L’humour pour résister à l’absurde

En tant que lecteur, Paul Ruban se dit lui-même un grand admirateur de l’humour en littérature – il songe à Suzanne Myre, Francis Ouellet, à l’écrivaine mexicaine Valeria Luiselli.

« Je pense que l’humour est une façon de résister à l’absurdité du monde. L’auteur allemand Otto Julius Bierbaum dit que l’humour, c’est quand on rit quand même. J’essaie de trouver les interstices d’humour dans ce “quand même”. Et on dirait que plus je vieillis, plus j’observe le monde autour de moi, moins je peux le prendre au sérieux. »

Tour à tour, l’auteur se glisse dans la peau des six personnages qui composent la trame de fond de ce roman choral. Car en plus de la petite famille, il y a cette agente de bord dévote qui s’offre une semaine de vacances et qui n’arrive pas à se défaire de ses fantômes. Cette femme de ménage narcoleptique que personne ne remarque. Ou encore ce vieil employé du complexe hôtelier qui est désormais relégué aux oubliettes après y avoir consacré sa vie – prétexte, pour Paul Ruban, pour aborder le traitement que l’on réserve aux aînés en société.

Il y a quelque chose de théâtral dans cette forme que j’aime beaucoup. Un personnage sort des coulisses, un autre y entre, ça s’entrecoupe, ça se chevauche, ça se bouscule.

Paul Ruban

« C’est une forme avec laquelle je me suis vraiment amusé. J’aime beaucoup jouer avec les mots, et j’essaie de peser chaque mot quand j’écris. »

Son écriture n’est sans doute pas étrangère à son expérience scénaristique, ajoute-t-il, ni au fait qu’il affectionne cette forme chorale pour ce qu’elle a d’à la fois divertissant et ludique, comme dans ses romans coups de cœur, Faire les sucres, de Fanny Britt, et L’anomalie, d’Hervé Le Tellier.

Après l’« heureux accident » qu’a été son recueil de nouvelles, né d’histoires écrites à temps perdu, le voilà convaincu de poursuivre dans l’écriture – il travaille d’ailleurs déjà sur le prochain livre. Et à en juger par les grandes lignes de cette nouvelle histoire qu’il nous décrit (avant de s’en vouloir d’en dire trop !), on sera sans doute servis en matière de divertissement.

Le parfum de la baleine

Le parfum de la baleine

Flammarion Québec

210 pages