Lorsque le comédien Michel Côté nous a quittés, le 29 mai, tous ont unanimement salué la gentillesse de cet acteur hors norme. Et d’aucuns ont évoqué une – ou plusieurs – scène qu’il a portée sur ses épaules.

Le sermon de Jacques Laroche à son fils Marc (Louis-José Houde) dans De père en flic d’Émile Gaudreault ? Michel Côté !

Le pilote Robert Piché déterminé à sauver la vie de son équipage et de ses passagers dans Piché : entre ciel et terre de Sylvain Archambault ? Encore Côté !

Le paon, le lion, le taureau et le ver de terre dans TOUTES les scènes de Cruising Bar de Robert Ménard ? Toujours Côté !

Voilà de quoi rappeler à quel point les scènes marquantes au cinéma constituent un excellent tonique pour nous sentir vivants. Et c’est ce qu’on ressent à la lecture de 27 scènes marquantes du cinéma québécois, essai du journaliste, critique, essayiste et conférencier Michel Coulombe publié aux Éditions Les herbes bleues.

De la scène de torture sur le poêle dans La petite Aurore, l’enfant martyre (Jean-Yves Bigras) jusqu’au pétage de coche de Marie-France (Guylaine Tremblay) dans 23 décembre (Miryam Bouchard) en passant des passages uniques de Mommy (Xavier Dolan), Mourir à tue-tête (Anne Claire Poirier), La guerre des tuques (André Melançon), Les ordres (Michel Brault) ou C.R.A.Z.Y. (Jean-Marc Vallée), M. Coulombe rappelle que le cinéma québécois revendique fièrement sa part de moments inoubliables.

Des scènes qui bousculent

Quelle est sa définition d’une scène marquante ? « Quelque chose qui nous reste et qui a un impact sur nous, répond l’auteur en entrevue. Ce sont des scènes qui nous bousculent. Par exemple, lorsque j’ai vu le viol dans Mourir à tue-tête, ça m’est rentré dedans. Et en en parlant avec Julie Vincent [interprète de Suzanne, la victime], elle me dit qu’on lui en parle encore toutes les semaines, 44 ans après la sortie du film. »

M. Coulombe a aussi écrit son ouvrage dans une perspective historique large. « Je voulais que les scènes soient significatives. Qu’elles soient dans la mémoire populaire d’une façon ou d’une autre, dit-il. Qu’elles couvrent l’ensemble de l’histoire du cinéma québécois, donc du début des années 1950 jusqu’à récemment. Et qu’elles représentent plusieurs façons de faire du cinéma. »

Il n’y a pas que des scènes tristes et dramatiques dans ce recueil. On retrouve celle de « la dureté du mental » dans Les Boys (Louis Saia), l’explication des origines de Robert en route pour Santa Banana dans Elvis Gratton (Pierre Falardeau) ou encore la danse de la séduction des quatre interprètes masculins dans Le déclin de l’empire américain (Denys Arcand).

Ce qui, au-delà du scénario, de la mise en scène et des aspects techniques des tournages, nous ramène aux interprètes. Car que serait une scène inoubliable sans eux ?

« Dans Les Boys, la scène sur ‟la dureté du mental” est marquante parce que Marc Messier est un grand interprète qui ne rate jamais une réplique, poursuit M. Coulombe. Je pense aussi que le monologue de Guylaine Tremblay dans 23 décembre fonctionne parce qu’elle est un stradivarius. Quant au monologue de Sophie dans [Robert Lepage], il fonctionne parce qu’Anne-Marie Cadieux, une interprète de haut niveau, a peaufiné cette scène pendant des années sur les planches [le film est adapté d’un segment de la pièce Les sept branches de la rivière Ota]. »

Histoire du Québec

L’ouvrage constitue aussi une autre façon de se pencher sur l’histoire du Québec contemporain. L’auteur rappelle par exemple que le film Seul ou avec d’autres (Denys Arcand, Denis Héroux, Stéphane Venne) renvoie à la Révolution tranquille, alors que Valérie (Denis Héroux) évoque la révolution sexuelle.

On remarque que 25 des 27 films nommés ont été réalisés par des hommes, un rappel que les réalisatrices ont longtemps été négligées.

« Hélas, ç’a été le cas jusqu’à il y a 10 ans, dit M. Coulombe. J’imagine que 90 % du cinéma québécois a été fait par des hommes. Maintenant, c’est 50-50, et c’est une très bonne chose parce qu’avec le talent des réalisatrices [Louise Archambault, Sophie Dupuis, Anaïs Barbeau-Lavalette, etc.], la donne est en train de changer. »

S’il refaisait ce livre dans 10 ans, la réalité serait différente, plus équilibrée, assure-t-il. « Pour cet ouvrage, j’ai pris deux choix qui me paraissaient évidents et je trouvais ça bien que le dernier film soit réalisé par une femme parce que ça illustre la tendance actuelle. »

Souhaitons donc un nouveau rendez-vous quelque part autour de 2033 ! D’ici là, ce petit ouvrage fort sympathique possède tous les attributs pour nourrir de nombreuses conversations sur nos souvenirs de cinéma.

27 scènes marquantes du cinéma québécois

27 scènes marquantes du cinéma québécois

Les herbes bleues

64 pages

En savoir plus
  • 27
    Pourquoi 27 scènes et non 33, 55 ou 101 ? Parce que c’est le thème de la « Collection les 27 » de la maison d’édition Les herbes bleues.
    Les 4 soldats
    La couverture montre une scène de tournage du film Les 4 soldats de Robert Morin qui ne se trouve pas dans les 27 choix de l’ouvrage. « Je voulais montrer une équipe de tournage parce que je raconte les coulisses des films », dit Michel Coulombe, qui a choisi cette photo sur la page Facebook Nos photos de tournage.