« J’ai toujours été allergique à cette envie de dire même quand on n’a rien à dire, explique Jonathan Harnois. On noie l’espace public avec toutes sortes de choses pas toujours nécessaires. » Dix-huit ans après son mémorable premier roman, Je voudrais me déposer la tête, l’écrivain renoue enfin avec la littérature dans Tu me rappelles un souffle, sa correspondance avec Robert Lalonde.

Jonathan Harnois se souvient d’avoir vécu l’étonnant succès de Je voudrais me déposer la tête (Éditions Sémaphore) comme « une belle décharge de validation et d’amour, comme on en cherche à cet âge-là ». En 2005, l’écrivain avait à peine 24 ans et soignait toujours une blessure creuse, celle du suicide d’un ami pour la vie, matière première de ce premier livre-bouée. En 2007, Claude Poissant le transposait au théâtre.

Dans le petit firmament de la littérature québécoise, l’étoile de Jonathan Harnois brillait donc fort. Très fort. Puis, pendant 18 ans, plus rien. Ou du moins, pas de projet aussi médiatisable qu’un livre, précise en entrevue celui qui a signé ou cosigné une centaine de chansons (avec Alex Nevsky, Dumas et Marie-Eve Roy, notamment), piloté la création des albums Le Saint-Laurent chanté et Nos forêts chantées, lancé par Les Cowboys Fringants, et qui a coécrit avec des camelots de L’Itinéraire la pièce Je suis un arbre sans feuille.

« Oui, le chemin est plein de trous et j’ai l’égo plein de bleus », confie-t-il à Robert Lalonde dans Tu me rappelles un souffle, le fruit d’une correspondance sur quatre saisons, née alors que Harnois cherchait un interlocuteur avec qui amorcer une réflexion autour de l’effritement de notre capacité à tendre l’oreille à l’autre. Alors, l’égo ? « Ç’a rapport avec toutes les idées du succès dont on se remplit la tête et, surtout, dont le monde nous remplit la tête. C’est cet égo-là qui se bâtit à travers ce qu’on appelle la réussite. »

« Et c’est ce qui fait qu’on finit par s’identifier à des choses qui ne sont que de la validation du regard des autres, avec le contrecoup que lorsque ça s’arrête, on veut absolument reproduire cette expérience-là. »

Retrouver son feu

Malgré cette puissante envie d’être à nouveau applaudi, Jonathan Harnois aura eu l’instinct de ne pas précipiter la suite et de ne pas publier un deuxième roman juste parce que le succès du premier en appelait un autre rapidement.

J’avais le choix entre m’acharner à dire quelque chose même si je n’avais rien à dire ou suivre le parcours normal de l’écrivain qui, généralement, publie pour la première fois autour de 40 ans. Mais ça n’avait aucun sens pour moi de forcer les choses, sans avoir de vécu. Un projet d’écriture doit venir avec une grosse vibration de sens.

Jonathan Harnois

Jonathan Harnois a longtemps vécu dans son Westfalia, puis à Shefford, dans une maison magnifiquement décatie, loin des distractions de la ville. Il subvient aujourd’hui à ses besoins – financiers et de silence – en tant que fumigateur sur des cargos, un job qui étanche sa soif d’aventures et de rencontres, tout en lui offrant de nombreuses plages d’écriture, dans sa cabine, au milieu du Saint-Laurent.

À 41 ans, l’écrivain continue de placer le mot liberté au haut de la liste de ses « soifs légitimes », pour reprendre la belle formule qu’il emploie dans Tu me rappelles un souffle. Rencontré aux Correspondances d’Eastman en 2007, Robert Lalonde aura été pour lui un précieux guide sur les sentiers parfois cahoteux de cette vie qu’il s’invente en marge des chemins balisés de la réussite traditionnelle.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Robert Lalonde et Jonathan Harnois

Traversés par le doute, les échanges entre le vétéran et son cadet finissent par tracer le portrait d’une renaissance, celle d’un auteur qui bataille avec ses angoisses et qui cherche à comprendre s’il écrit pour les bonnes raisons.

« Mon feu littéraire ne sait plus toujours faire la différence entre ce qui l’étouffe et ce qui l’alimente, avoue Jonathan à son ami Robert. Je ne discerne pas toujours la poudre aux yeux de la poudre à canon. Je ne sais plus si, en écriture, je suis le feu, le pyromane ou le grand brûlé. »

Un doux précipice

« Ma relation à la création est liée à ma révolte adolescente, précise-t-il en entrevue. On se révolte parce qu’on veut garder vivante notre relation au sublime, à l’absolu, alors que partout autour, c’est le monde médiocre qui semble nous attendre. »

S’il n’a jamais abdiqué sa révolte, Jonathan Harnois travaille à ce que son feu ne se transforme plus en brasier. Je voudrais me déposer la tête lui a permis d’éprouver « tout le potentiel thérapeutique et cathartique de l’écriture ». « C’est le livre qui, dans mon processus de deuil, m’a accompagné vers les autres. »

Mais l’écriture ne peut pas chaque jour nous sauver la peau. Ce serait trop lui en demander. « C’est pour ça que j’ai mis des années à recadrer mon rapport à la création, même si je continue de penser que l’écriture doit demeurer un miroir vertigineux, quelque chose comme un doux précipice. »

Tu me rappelles un souffle

Tu me rappelles un souffle

Boréal

200 pages