L’écriture est une musique. Chaque auteur a la sienne. Son rythme, sa cadence, sa mélodie. Celle de Marie Hélène Poitras, suave, poétique et élégante, coule de source.

Lorsqu’elle nous raconte avec un humour cynique la nuit ravageuse d’une jeune femme se réveillant les oreilles en sang, une demi-dent en moins, dans un nid d’immondices derrière les Foufounes électriques. Ou qu’elle se demande comment conclure une nouvelle mettant en scène une fillette de ruelle farouche tentant d’apprivoiser un immense chien sauvage.

Galumpf, recueil de 11 nouvelles dont plusieurs, remaniées, ont été publiées dans des revues ou ouvrages collectifs depuis une quinzaine d’années, débute avec le récit d’une nuit d’ivresse romantique dans une église éventrée de Montréal, entre une jeune femme et son Ti-Loup, au son de Pale Blue Eyes du Velvet Underground.

On reconnaît l’ancienne critique de musique (de l’hebdo Voir) dans cette subtile courtepointe de personnages, qui réapparaissent parfois comme les motifs récurrents d’une œuvre ayant pour thème central l’empathie.

Les rythmes soul d’Al Green sont la trame sonore du récit de Miss Soleil, 8 ans, abandonnée à son sort et à sa solitude, comme la Bérénice de Ducharme (ou sa Manon des Bons débarras), portant toute son affection sur Steeve, le gros chien que lui a offert son père absent du même nom. Surtout, qu’il n’arrive rien de mal à la petite fille ! demande en aparté le chum de la narratrice, une voisine de la petite fille. Par cet habile procédé, l’écrivaine interrompt le récit avec ses doutes sur la suite de l’intrigue.

La musique de l’écriture de Marie Hélène Poitras a beau être la même, l’autrice de La mort de Mignonne et autres histoires sait manier différents styles. Dans cette nouvelle plus sombre, aux multiples narrateurs, sur un village de pêcheurs isolé sur une île, bouleversé par l’arrivée d’un étranger qui attire les jeunes dans ses filets. Dans cette réflexion très crue sur le rapport à la pornographie ou encore dans cette fine description de la dernière nuit d’un animateur de tribune radiophonique, réduit au silence après avoir toujours été guidé par sa voix.

On a parfois le sentiment que c’est l’écrivaine, et non seulement un personnage éloigné d’elle, qui s’adresse aux lecteurs. Lorsque la narratrice raconte la visite impromptue de la maison de son enfance, prétexte à la redécouverte du livre qui lui a donné le goût des mots à l’enfance. Ou à l’occasion des nombreuses références au sport équestre, truffées de ces expressions propres aux cavaliers qui sont autant de prétextes à une incursion dans un univers fascinant pour les non-initiés (dont je suis).

On reconnaît la passion pour les chevaux de l’écrivaine de Griffintown. Notamment dans une nouvelle aux accents érotiques sur la rencontre entre une cavalière et son entraîneur, qui évoque à la fois la sensualité et la force brute d’un étalon qu’il faut amadouer.

Dans le dernier chapitre de Galumpf, titre intrigant dont elle explique le sens, Marie Hélène Poitras parle de ses deux passions, indissociables dans son esprit : monter (à cheval) et écrire. Ici, il n’y a plus de personnage, plus d’alter ego, plus de fiction. Seulement une écrivaine au sommet de son art qui nous confie sa peine d’avoir perdu son cheval. Dans un souffle d’écriture d’une remarquable fluidité.

Galumpf

Galumpf

Alto

192 pages

8/10