Un festival se doit d'échapper à la routine de saison et monter des oeuvres peu connues ou même totalement oubliées. Parlant de l'esprit qui animait son Festival de Lanaudière, le regretté père Fernand Lindsay revenait souvent sur l'importance d'«étonner» -- au sens le plus positif du terme, bien sûr  -- et l'initiative de ses successeurs, l'opéra romantique Der Vampyr, de Heinrich Marschner, cadrait tout à fait avec sa ligne de pensée.

S'agit-il d'un chef-d'oeuvre méconnu que le public devait absolument connaître? Certainement pas. Ce Vampyr n'est à peu près jamais joué, les enregistrements qui en existe sont rares (trois seulement, selon mes calculs) et la présentation de Lanaudière vient confirmer que l'oubli où il est tombé est justifié : partition interminable (deux pleines heures, sans compter l'entracte), musique redondante, à la Weber, avec des échos d'opérette, livret d'une tenue littéraire plutôt pauvre.

Quand même, puisque nous sommes dans un festival, l'oeuvre méritait sans doute qu'on s'y intéresse...une fois. Surtout qu'elle fit l'objet d'une version demi-scénique extrêmement soignée et très proche du spectacle.

Cette histoire abracadabrante d'un vampire qui doit sacrifier trois vierges en 24 heures, sous peine de mourir, pouvait être suivie par les quelque 3000 spectateurs de l'Amphithéâtre grâce à des surtitres français et anglais donnant en traduction instantanée tout ce qui était chanté ou parlé sur scène dans l'allemand original.

Les interprètes avaient tous mémorisé le très long texte et le livrèrent avec la plus totale conviction, circulant sur des plateformes parmi l'orchestre et jusque sur les hauteurs latérales de la scène, au milieu de projections de cimetières et d'éclairages sinistres. Certains personnages majeurs étaient maquillés et portaient des capes, les écrans géants projetant de saisissants gros plans, comme au cinéma.

Dans le rôle-titre, le jeune baryton Phillip Addis se révéla une parfaite incarnation du monstre: yeux perçants, sourire menaçant, lèvres rouge sang, mordant dans les mots d'une voix nette et redoutable.

Chez les trois victimes du vampire, première mention à Marianne Fiset. À une voix parfaitement conduite s'ajoutait la souplesse avec laquelle sa Malwina passa de la plus grande joie en retrouvant celui qu'elle aime à la plus grande tristesse en apprenant de son père qu'elle doit en épouser un autre.

Nathalie Paulin a également retenu l'attention par sa prestation vocale de grande classe et le long monologue de son personnage, Emmy, sur le monde des vampires.

Tracy Smith Bessette tira aussi le maximum du personnage plus effacé de Janthe, première des trois victimes du vampire.

Le ténor Frédéric Antoun joua et chanta avec la même force étonnante l'amoureux de Malwina et le dénonciateur du vampire.

En fait, la mise en scène d'Alain Gauthier nous valut une distribution entière à la hauteur du sujet et Jean-Marie Zeitouni dirigea orchestre et choeur avec une véritable passion. Mais personne ne put transformer en chef-d'oeuvre ce Vampyr qui, à 22h, avait bu jusqu'à la dernière goutte de notre patience. Or, nous en avions encore pour une grosse demi-heure...

DER VAMPYR, opéra en deux actes, livret de Wilhelm August Wohlbrück, musique de Heinrich Marschner (1828), édition Hans Pfitzner (1924).

Version demi-scénique. Mise en scène : Alain Gauthier. Scénographie : Alexis Rivest. Orchestre du Festival et Choeur de chambre du Festival (dir. Julien Proulx).    

Phillip Addis, baryton (rôle-titre), Marianne Fiset, Nathalie Paulin et Tracy Smith Bessette, sopranos, Frédéric Antoun et Kurt Lehmann, ténors, Chad Louwerse, baryton, Robert Pomakov, basse, et Claude Grenier, comédien. Dir. Jean-Marie Zeitouni.

Samedi soir, Amphithéâtre Fernand-Lindsay de Joliette. Dans le cadre du 34e Festival de Lanaudière.