Le 34e Festival international de jazz de Montréal commence vendredi. L'une des têtes d'affiche de cette année est sans contredit Ravi Coltrane, fils de John, mais désormais membre à part entière de l'élite du jazz moderne.

Spirit Fiction, sixième opus du fils Coltrane en tant que leader, fut acclamé par la critique jazzistique. Paru chez Blue Note, cet opus est assurément l'un des meilleurs de 2012. Pour Ravi, bientôt 48 ans, cet enregistrement appartient au passé. Et ne représente en rien l'aboutissement d'une quête.

Plutôt que de reproduire cette musique encore récente comme elle fut créée en studio, le saxophoniste et leader envisage de la réaménager devant public et de proposer du neuf avec un équipage fort différent de l'album. Aurez-vous deviné qu'il est ici question de ses projets actuels et de son passage imminent à Montréal?

«Je me concentre sur de nouveaux groupes, annonce-t-il de son domicile new-yorkais. Avec le concert de musiciens plus jeunes, je compte faire autre chose avec la musique de Spirit Fiction tout en en évoquant l'esprit, mais... cet album est déjà loin puisqu'il fut enregistré en 2010. Je pense plutôt à la nouvelle matière. Et je peux vous dire que mes musiciens ont déjà transformé celle de Spirit Fiction

L'ensemble qui l'accompagnera à Montréal, d'ailleurs, sera différent de cet alignement de pointures identifiées dans cet album et d'autant plus appréciées - Ralph Alessi, Geri Allen, Eric Harland, James Genus, etc.

Nouveau noyau de musiciens

«Mon noyau actuel de musiciens, précise Ravi Coltrane, se compose de Jonathan Blake, batterie, Desron Douglas, contrebasse, Adam Rogers, guitares. Avec eux, je viens de passer une semaine magnifique au Birdland. Le pianiste cubain David Virelles, par ailleurs, participe régulièrement à cet ensemble, mais ce sera Adam à Montréal.

«Pour une tournée européenne en août, poursuit l'interviewé, le saxophoniste et compositeur Steve Coleman jouera avec nous en tant qu'invité spécial. Je m'estime très chanceux qu'il ait accepté, je souhaite une expérience collaborative avec lui, car il représente pour moi un des plus grands compositeurs et penseurs de la musique d'aujourd'hui. Je prévois enregistrer du nouveau matériel en novembre et je souhaite que Steve soit de la partie. Différents musiciens avec qui je travaille actuellement seront aussi conviés à ces sessions.»

Nom de famille

Reconnu internationalement pour la qualité de son travail bien au-delà de son nom de famille, Ravi Coltrane a le sentiment que sa quête d'une expression vraiment singulière est loin d'être terminée: «J'essaie d'atteindre un point où l'improvisation est la composante primaire, mais aussi un point où la composition dépasse le thème, la progression d'accords propice aux solos, suivie d'un retour du thème. Je souhaite éviter cette routine, tout en demeurant un improvisateur et donc en conservant cette souplesse structurelle qui nous permet de prendre telle ou telle direction en temps réel lorsque l'inspiration la commande. Dans le jazz, toute structure immuable est à proscrire, c'est une composante essentielle du dialogue et de l'expression commune.

«Prenons l'exemple de Spirit Fiction: certaines séquences de cet album ont été remarquables lorsque l'entente tacite entre les participants faisait son oeuvre. Or, lorsque tu travailles longtemps avec les mêmes musiciens, cet état devient plus facile à atteindre. Les changements spontanés [stylistiques, rythmiques, harmoniques, etc.] se font plus naturellement.»

Cela étant, Ravi Coltrane ne croit pas son identité musicale solidement implantée.

«Jusqu'à aujourd'hui, j'ai baigné dans plusieurs courants en musique: musiciens d'avant-garde chez Rashied Ali, puis chez Elvin Jones et Jack DeJohnette, auprès de concepteurs tels Steve Coleman, Joanne Brackeen ou Gerry Gibbs. Aujourd'hui, je mène ma barque. Où en suis-je? Je crains ne pouvoir affirmer une identité forte au-delà de cette expression fondée sur les différentes étapes de ma trajectoire. Quoi qu'il advienne, je continuerai à chercher jusqu'à ma mort (rires). Tout ce que je peux faire, c'est de continuer à m'améliorer, à rester moi-même, bien dans ma peau.»

Quant à la filiation johncoltranienne et aux inévitables comparaisons de ceux qui ne s'en tiennent qu'aux noms de mythes et célébrités, voici ce qu'il a à (re)dire: «Heureusement, ma conscience de la pression externe n'a jamais été très aiguisée à ce titre. Mais j'accepte d'où je viens tout en suggérant à quiconque d'aller au-delà du nom de mon père, c'est-à-dire au coeur de ma musique. En observer les composantes, la qualité de l'interaction, ce qu'elle remue en dedans.»

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Le quartette de Ravi Coltrane se produit le vendredi 28 juin, 21h30, Théâtre Jean-Duceppe.