Immense trompettiste, immense bugliste, immense styliste. Tom Harrell, 66 ans, est assurément l'un plus éminents musiciens vivants de la grande tradition jazzistique.

En tant que leader, sa discographie compte près d'une trentaine d'albums  dont l'excellent Number Five, lancé récemment sous étiquette Highnote.

Puisque l'art de Tom Harrell doit être clairement dissocié de la schizophrénie qui mine sa santé mentale depuis des lustres (et qu'il arrive à harnacher grâce à une médication appropriée), nous causons exclusivement musique dans cette interview - réalisée par voie de courriel pour les raisons qu'on imagine.



Q. Quels sont les musiciens qui vous accompagnent à Montréal?

R. Le saxophoniste ténor Wayne Escoffery, le contrebassiste Ugonna Okegwo, le batteur Billy Drummond et moi-même y formerons un quartette.

Je joue avec Ugonna Okegwo depuis 1997, il a participé à la plupart de mes projets, à commencer par l'album Art of Rhythm (RCA/BMG) et le projet de quintette avec cordes, Paradise sous RCA/BMG. Nous avons fait le tour du monde ensemble, dans différentes versions de mon quintette. Il a participé aux enregistrements de mes cinq albums sous étiquette Highnote. Il fait également partie de mon orchestre de chambre où l'on explore les arrangements de Debussy et Ravel en plus de suggérer mes compositions originales aux influences classiques. Ugonna poursuit les mêmes idéaux musicaux que les miens.

Billy Drummond et moi avons joué ensemble à la fin des années 1980 dans un groupe où participaient aussi Benny Greene, Peter Washington et Ralph Moore. Cette année, nous avons joué ensemble au club   Iridium Jazz de New York, dans le cadre d'un hommage à Miles Davis. De plus, nous partageons le même enthousiasme pour l'oeuvre du trompettiste Kenny Dorham.

Wayne Escoffery joue dans mon quintette depuis 2006. Il apparaît aussi sur mes cinq derniers albums sous étiquette Highnote et travaille dans ces projets à titre de coréalisateur aux côté d'Angela, mon épouse et manager. Il est très doué pour le travail en studio et demeure un instrumentiste des plus excitants sur scène. Dans mon orchestre de chambre, Wayne  joue aussi les saxophones soprano et ténor.

Q. L'escale montréalaise est-elle l'occasion de jouer le contenu de cet excellent Number Five, votre plus récent album?

R. Nous prévoyons jouer quelques pièces de cet album mais le répertoire inclut aussi de nouvelles pièces et du matériel extrait de mes albums antérieurs. On peut dire que les programmes présentés seront représentatifs de l'ensemble de mon oeuvre.

Q. Acceptez-vous de décrire votre propre style?

R. Je ne le fais pas à moins qu'on me le demande. Je devine que vous aimeriez que je le fasse! Et puisque je trouve sain pour un artiste d'être conscient de ce qu'il fait, voici ce que j'en pense:

Je crois que mon style est une variante de hard bop, mâtinée des influences proéminentes d'Ornette Coleman et Miles Davis. L'emphase est mise sur la mélodie et des schémas harmoniques stimulants qui éveillent mes émotions. J'aime aussi faire de nouvelles expériences avec les rythmes, je suis toujours en quête de nouvelles textures. Mes musiciens et moi peignons de nouvelles toiles chaque soir que nous jouons ensemble. En fait, j'essaie de présenter des choses neuves et rafraîchissantes tout en restant conscient de la tradition dont je proviens.

Q. Avez-vous pour objectif de transcender cette tradition?

R.  Je ne crois pas que le jazz doive être transcendé. Le jazz est la musique noire. Le jazz est africain. Nous sommes tous Africains dans le jazz. Le fondement rythmique est en quelque sorte le creuset de cette musique, et ces caractéristiques africaines rendent contemporaine une vaste partie de la musique d'aujourd'hui. Plus vous écoutez le vieux jazz, par ailleurs, plus vous réalisez à quel point ce son est moderne. Fletcher Henderson et Duke Ellington proposaient de la musique atonale dès les années 1920! Ellington a influencé Monk en ce sens. Et Monk fut tout aussi sophistiqué dans les années 40 et 50. Ses concepts rythmiques étaient incroyables! Plus vous vous plongez dans la tradition du jazz, donc, plus vous réalisez à quel point cette tradition demeure pertinente aujourd'hui.

Q. Votre quête de l'élégance a quelque chose à voir avec les maîtres vous ayant précédés. Quels sont vos maîtres?

R. Toutes les grandes musiques comportent autant d'élégance que de vivacité. Celles de mes maîtres: Louis Armstrong, Duke Ellington, Billy Strayhorn, Bud Powell, Fats Navarro, Clifford Brown, Miles Davis, Horace Silver, Billie Holiday, Sarah Vaughn, Ella Fitzgerald... Quant à mes trompettistes préférés, ils sont nombreux; outre Louis, Miles, Fats ou Clifford, il y a Don Cherry, Roy Eldridge, Freddie Hubbard, Woody Shaw, Charles Tolliver, Blue Mitchell, Kenny Wheeler, Jack Walrath, Lester Bowie, Ron Miles, Wallace Roney et plusieurs autres. Quant à mes compositeurs préférés, ils sont les suivants: Duke Ellington, Thelonious Monk, Tadd Dameron, Ornette Coleman, Maurice Ravel, Claude Debussy, Olivier Messiaen, Toru Takamitsu, Gil Evans, Karlheinz Stockhausen, Belà  Bartok, etc. J'écoute toutes sortes de musiques, en fait; les voyages à l'étranger me permettent de découvrir d'autres cultures,  j'ai la chance d'écouter sans cesse de la nouveauté. Cela explique pourquoi j'aime parfois intégrer des éléments de hip hop et de pop dans certaines de mes compositions.

Q. Quels sont vos prochains projets?

R. De plus en plus, je présente ce quartette sans instrument harmonique afin d'en explorer la beauté mélodique et la clarté musicale. Le quartette est un médium plus intime; la contrebasse devient proéminente, les vents acquièrent autre relief, le discours mélodique devient plus tranchant. Avec le batteur Billy Hart, je compte refaire l'expérience cet automne au Village Vanguard. Également, je tourne dans le monde avec mon quintette, particulièrement depuis la sortie de l'album Number Five. Pour cet ensemble, je ne cesse d'écrire du nouveau matériel que je présente sur scène - au lieu de défendre exclusivement la musique récemment enregistrée comme le font tant de groupes. Par ailleurs, mon orchestre de chambre devrait enregistrer  d'ici la fin de l'année.

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Tom Harrell se produit ce samedi à l'Upstairs, 19h et 21h45.