L'Amnesia Rockfest de Montebello a fait défiler sous un soleil de plomb des dizaines de groupes et une foule estimée à 200 000 spectateurs durant le week-end. Mais au-delà de la musique qui vous malmène le tympan plus de 12 heures par jour, le festival donne des airs de carnaval à la municipalité, en plus de représenter un poumon économique de premier plan pour l'ensemble de la région. Virée dans l'oeil du cyclone.

Jeremy McGee ne s'est pas cassé la tête bien longtemps pour trouver un endroit où planter sa tente. Le jeune Néo-Brunswickois s'est installé directement en bordure de la rue Notre-Dame, devant le Château Montebello, qui affichait complet comme tous les établissements hôteliers de la région.

D'autres festivaliers l'ont imité, profitant des rares carrés de verdure entre la route et la forêt pour ériger leur camp de base.

La plupart des véhicules croisés étaient immatriculés au Québec ou en Ontario. «Pas de problème si les gens parlent en anglais ou en français, on est tous ici pour le rock et tout le monde est cool!», a résumé Jeremy, qui venait de déboucher sa première Coors de la journée, un peu avant 11 h.

Jeremy a raison: ici, tout le monde est effectivement cool. Les gars en bedaine ou les filles en haut de bikini qui se font bronzer les tatouages et même les téméraires en skateboard qui s'accrochent aux rares voitures qui osent couper la foule dense, de plus en plus éméchée à mesure que le soleil descend. Même les policiers qui arpentent les lieux sont bombardés de high five.

«C'est mon festival préféré au monde, comme un camp d'été pour les tout croches», avait badiné le porte-parole Mike Ward lors du dévoilement de la programmation, en mars dernier.

Sa phrase prenait tout son sens ce week-end, à la vue de cette marée humaine qui a submergé Montebello, une bourgade d'à peine 1000 âmes les 362 autres jours de l'année.

Des campings de fortune s'improvisaient sur chaque espace libre. Terres agricoles, champs, cours arrière des résidences, même les balcons. La musique dans le tapis, Maxime Baril et ses amis sirotaient quelques bières derrière le garage de son père. Une dizaine de tentes se voisinaient sur son terrain. Pour Maxime, la cohabitation entre les gens de Montebello et les visiteurs se passait bien. «Certains virent un peu fou, mais il n'y a pas trop de vandalisme. Surtout des gens qui perdent leurs affaires», a-t-il expliqué. Son ami Alexandre dit avoir trouvé plusieurs téléphones cellulaires l'an dernier.

Un peu à l'écart du village, des milliers de tentes s'étendaient à perte de vue au camping «officiel» du festival. Réfugiés temporaires de ce qui ressemble, de haut, à un bidonville, Dominic Roberge et ses amis ont mis en place leur petite routine. «Habituellement, le matin, on va voir les premiers shows, puis on revient se reposer aux tentes avant ceux du soir», a raconté Dominic, venu de Québec avec cinq de ses amis, près de 150 bières et 60 onces de vodka. 

«Hier soir, tout le monde se criait des niaiseries d'une tente à l'autre et ça riait!»

En bas de la côte, la rue Notre-Dame avait pour sa part des airs de marché aux puces, avec ses stands proposant lunettes, casquettes, nourriture, chapeaux, t-shirts et mille autres babioles. Il y avait même un salon de coiffure et des camions de cuisine de rue garés sur le terrain de l'église.

Les vendeurs d'eau faisaient des affaires en or. «J'ai 120 caisses d'eau, soit 3000 bouteilles à 2 $ chaque», calculait Clément Primeau, de Laval, un entrepreneur en excavation qui inaugurait son étal. «On a un bateau à la marina et on a décidé de profiter de l'occasion. Sérieusement, les gens sont très polis, même en boisson», constatait le Lavallois.

Un peu plus loin, Alec Beaulieu louait une partie de son terrain à un vendeur de lunettes fumées. «Je lui charge 400 $ pour le spot pendant tout l'événement», a-t-il expliqué.

La municipalité avait beau exiger des permis pour tenir un stand ou offrir le gîte, l'argent rentrait à flots. En 2014, les retombées économiques du Rockfest pour la Petite-Nation avaient été estimées à 10 millions de dollars. Certains commerçants font leur revenu annuel en une fin de semaine. C'est le cas du propriétaire du dépanneur situé à l'entrée du village, où s'étiraient des files d'attente permanentes. 

«Je fais de l'argent avec la bière, les cigarettes, la crème solaire et aussi les frais du guichet ATM», indique Pierre Nguyen, propriétaire du dépanneur.

À un jet de pierre de là, Hubert Bourgeois et Henriette Labelle mangeaient leur spaghetti sur le balcon de leur bungalow en regardant tituber la foule éclectique. «Il faut embarquer dans le jeu avec eux. Ils lâchent un cri, on lâche un cri», a expliqué M. Bourgeois, qui a loué deux extrémités de son gazon pour des stands de nourriture et de vêtements. Sa plate-bande fleurie était impeccable, même si la rue avait l'air d'un dépotoir quelques mètres plus loin. «Les jeunes sont respectueux», a souligné M. Bourgeois.

Un peu plus loin, la terrasse du pub Les Brasseurs débordait jusqu'à la rue pendant une prestation extérieure du groupe Les Chiens Sales, un groupe chouchou de la région et du Rockfest. Tout près, quelques jeunes offraient des shooters de vodka au pistolet à l'eau aux passants. «Boobs 4 beer», pouvait-on lire sur la pancarte de l'un d'eux.

Dans la rue Saint-Étienne, un couple d'octogénaires loue depuis des années son terrain aux festivaliers: 50 $ la tente, 50 $ la voiture. «Ça se passe très bien. Les jeunes sont polis, gentils, et tout est toujours propre quand ils repartent», a lancé Marie-Jeanne Desjardins, qui n'avait probablement aucune idée que Vincent Peake, de Grimskunk, campait sur son terrain.

Mais s'il fallait retenir une seule image de cette fin de semaine, ça serait sans conteste celle de ces quelques locataires de la résidence pour personnes âgées Montebello, assis à l'ombre sur leur balcon situé en plein coeur de l'action. «On ne va pas se plaindre, les jeunes sont sympathiques et nous respectent», a affirmé Julien Fortier, 85 ans, un agent de sécurité à la retraite du Château Montebello. «Il y en a qui n'aiment pas ça et qui chialent, mais il y aura toujours des gens pour chialer», a résumé sagement Gisèle Gray.

Au même moment, une dizaine de festivaliers étaient assis près d'eux dans les escaliers de la résidence. L'un d'eux, vêtu d'un chandail aux couleurs du papier à rouler Zig-Zag, se roulait tranquillement un joint.

PHOTO NINON PEDNAULT, LA PRESSE

C’est en bordure de la rue Notre-Dame que Jeremy McGee a planté sa tente.