Gilles Vigneault a passé le mois d'août à Natashquan, le pays de son enfance auquel il revient toujours. À la différence que cette année, il a écourté ses vacances pour se consacrer au premier acte public de la Fondation qu'il a mise sur pied en 2003: un atelier d'écriture de chanson et de poésie auquel ont participé de jeunes auteurs-compositeurs-interprètes. Retour à la source pour un grand pédagogue et huit jeunes compagnons sous son charme.

Il pleut des cordes sur Natashquan. Des proches de Gilles Vigneault sont attablés au Café de l'Échouerie quand quelqu'un souligne l'audace toute juvénile du poète de 81 ans qui est monté sur la scène des plaines d'Abraham avec de nouveaux musiciens, le 8 juillet dernier. Vigneault sourit et déclare avec juste ce qu'il faut de solennité: «La jeunesse, ça serait extraordinaire si ça n'arrivait pas si tard!»

Le lendemain matin, dans la maison de l'oncle Léo, convertie en atelier, Vigneault fait un retour sur les enseignements qu'il a prodigués toute la semaine à huit auteurs-compositeurs-interprètes dont il a trois ou quatre fois l'âge. Assis à une extrémité de la grande table, en face de Mouffe, l'indispensable complice de cette master class qu'on prépare depuis un an, il leur inculque des notions de métrique et de prosodie, il insiste sur la musicalité d'un texte bien écrit, sur l'importance de lire des poèmes et d'en apprendre par coeur, et la nécessité de s'approprier ces outils de travail que sont les dictionnaires pour développer des automatismes comme le fait le guitariste qui cultive la mémoire des doigts, la mémoire du corps.

Autour de lui, ces gagnants de concours et diplômés d'écoles de chanson boivent les paroles du «vieux bavard» qui se lance dans une tirade où il est question d'exoplanètes - «Il s'intéresse à tout», m'avait prévenu sa femme Alison -, un poème, une chanson ou une anecdote. Il est question d'une rencontre avec Gaston Miron, de la petite histoire de Tout l'monde est malheureux, écrite sur-le-champ pour faire sourire une jeune fille que son copain venait de larguer, et même de l'hymne God Save the King (Queen) que les Anglais doivent à une douloureuse pustule au postérieur de Louis XIV.

Vigneault ne sait évidemment pas ce que ses jeunes stagiaires retiendront de leur semaine d'apprentissage, à l'abri du téléphone portable et de l'internet, mais il sait qu'il leur aura au moins communiqué sa passion de l'écriture tout en piquant leur curiosité: «Les jeunes sont pressés par toutes sortes de choses, ils se dépêchent de faire une chanson, de la mettre en musique, de l'harmoniser, de la montrer au monde. Ils ont acquis cette notion de prendre son temps, comme le fait l'artisan.»

La Fondation

Cet atelier d'écriture est le premier acte public de la Fondation du patrimoine de Gilles Vigneault qui a été mise sur pied en juin 2003. Vigneault espère pouvoir l'animer pendant quelques années encore et quand il sera temps de «changer le chauffeur» de la locomotive qu'il aura mise sur les rails, il verrait bien un Plamondon, un Jean-Pierre (Ferland), une Clémence (DesRochers), un Luc De Larochellière, un Martin Léon ou un Yann Perreau lui succéder dans le décor de Natashquan.

La Fondation a également pour objet la rénovation des  bâtiments, des mobiliers, des terrains et des clôtures de l'enfance de Gilles Vigneault. Ces dernières années, elle a acquis - «au prix de l'évaluation municipale», précise l'historien de l'art Paul Trépanier, chargé du projet - la maison de Monsieur Willie, le père du poète, et celle de Monsieur Claude, son oncle, qui est aussi celle du grand-père Jean Vigneault. La maison paternelle retrouvera l'allure qu'elle avait quand le jeune Vigneault l'a quittée pour aller étudier en Rimouski, en 1942.

«Le thème de la Fondation est Pour partager la source... et ça regroupe les fondements de toute l'oeuvre de Gilles Vigneault, ajoute Trépanier. Ces deux maisons témoigneront de l'art de vivre à Natashquan. Ce n'était pas une famille riche, mais chaque objet a un sens. On exposera des artefacts de la vie de famille dans le salon de Monsieur Claude et les visiteurs pourront écrire une lettre ou une carte postale sur la table de cuisine et aller la porter au bureau de poste de Natashquan. La maison paternelle sera davantage comme un musée.»

Gilles Vigneault estime qu'il en coûtera environ 600 000 $ pour restaurer les deux maisons. «Pas le dixième d'une commission d'enquête!» dit-il. Le coût du premier atelier d'écriture est estimé à 75 000 $. Les fiduciaires de la Fondation sollicitent différents ordres de gouvernement, des grandes sociétés, d'autres fondations et le grand public. Une amie a fait un don de 25 000 $ et le vigneron Frank Furtado, qui travaillait avec Vigneault dans les années 70, versera 2 $ par bouteille vendue d'une cuvée spéciale de l'Orpailleur qui doit d'ailleurs son nom à Vigneault.

«Ma femme et moi, on n'est pas des très bons quêteux, mais il y a des sommes considérables qui sont disponibles et cela peut se faire rapidement avant que les bâtiments ne soient plus en état de se refaire», dit Vigneault.

La séance

Samedi soir, le Tout-Natashquan s'est donné rendez-vous à l'Échouerie pour le spectacle des jeunes Compagnons de la source. Après avoir récité ensemble un poème de Verlaine, ils livrent tour à tour une chanson de leur «vieux» répertoire puis une autre chanson, une lettre ou un poème mis en musique, créés pendant la semaine. Mouffe, qui les aide à placer leur spectacle - baptisé séance, comme à la petite école, par Vigneault - n'a entendu leurs nouvelles créations que le samedi après-midi. «La répétition a été pourrie, le spectacle va être bon», assure-t-elle.

En soirée, les jeunes ont droit à des applaudissements nourris, à des bravos, et on reconnaît dans leur chanson collective des traces du vocabulaire et de la syntaxe de leur maître. Quand celui-ci vient les rejoindre pour chanter J'ai rentré le bois et Les amours, les travaux, une vague d'émotion emporte artistes et spectateurs.

Gilles Vigneault est fatigué, mais profondément heureux. Ce fut pour lui une semaine de haute performance, plus exigeante encore qu'un spectacle de deux heures. Il avoue même avoir eu un trac qu'il n'éprouve jamais quand il est sur scène. Mais il ne regrette rien: «J'ai passé une semaine merveilleuse à faire l'amour avec les mots.»