Richard Séguin sera à l'Astral vendredi et samedi prochains pour clore sa tournée De colère et d'espoir, au cours de laquelle il a donné 70 spectacles en huit mois. Trois musiciens, quatorze guitares, des chansons de son plus récent disque Appalaches, des pièces plus anciennes et même des interprétations, c'est Séguin dans toute son essence qu'on retrouvera aux FrancoFolies. Entrevue sous trois angles avec le chanteur qui vient de fêter ses 60 ans.

LA SCÈNE

Richard Séguin a rarement fait une tournée aussi «condensée» et il avoue avoir beaucoup aimé ça. «J'ai aimé ça parce que la tension est toujours là, et que l'équipe reste toujours dans l'énergie du spectacle.» Une fin de tournée n'est pas pour lui synonyme de nostalgie. «Au contraire, j'ai une grande curiosité pour la prochaine étape. La route ne s'arrête pas là, ce n'est pas un cul-de-sac. On prend un autre sentier, à l'écart.»

C'est comme un cycle pour lui, justement parce qu'il met la table pour cette étape de création pendant qu'il est en tournée, une période où il est très réceptif. «Il y a toujours un moment avant un spectacle où on est dans la salle et il y a comme une vibration, un état où les gens sont presque là, tu sens leur présence. Alors on enregistre tout ce qu'on improvise, et quand la tournée se termine, on écoute, et ça donne des ébauches de chansons.»

Il a beaucoup aimé la formule de ce spectacle qu'il a trimballé pendant huit mois, structuré en tableaux. «C'est Michel Faubert qui m'a fait comprendre qu'on pouvait prendre chaque chanson individuellement, que je n'avais pas besoin de raconter une histoire. Les éclairages et les décors ont été conçus en fonction de ça.»

Le vieux routier souligne cependant que donner des spectacles est toujours aussi difficile physiquement. «C'est une vie monastique: il faut bien manger, dormir beaucoup, ne pas tomber malade. La voix aussi a ses exigences. Avec les années, ce que je trouve le plus difficile, c'est la route. Il faut dire qu'en avril, on a exagéré, 6000 kilomètres en un mois!»

Reste que la scène est «le plus grand élément de vérité qu'on peut avoir avec les gens, juge-t-il. On a besoin de ça, que les gens portent nos chansons. C'est ce qui fait qu'elles ne resteront pas muettes. Je suis très reconnaissant de ça.»

Richard Séguin, les 8 et 9 juin, à 19h30, à l'Astral.

12 hommes rapaillés, du 14 au 16 juin, à 20h, au TNM.

LES MOTS

Richard Séguin a voulu que ce spectacle en soit un de paroles, entre autres à cause de «l'effet Miron». Il ne s'en cache pas, l'aventure de 12 hommes rapaillés a été majeure pour ses collègues chanteurs et lui. «Les mots de Miron ont vraiment une actualité vive, et sa force de conviction porte l'espoir. Miron ne se laisse jamais envahir par le désespoir. Ce n'est pas des paroles en l'air que de dire que la poésie aide à vivre. Je le crois vraiment.»

La poésie sert aussi à définir et nommer le pays, estime-t-il. «La première fois que je suis allé à Natashquan, je connaissais les lieux parce que M. Vigneault me les avait chantés. Les montagnes râpeuses de Miron, on les connaît. «Dans le poitrail effervescent de tes poudreries»: il a inventé des mots, nommé le chaos, et une fois les choses nommées, elles sont à nous.»

C'est la regrettée Louky Bersianik qui l'a initié à la poésie vers la fin des années 70. Des chansons ont découlé de cette rencontre, qui l'a aussi ouvert aux mots. «Elle était enracinée dans les mots, cherchait, et ça la faisait jubiler. Elle disait que c'était de l'archéologie du futur.»

C'est à ce moment qu'il a commencé à écrire ses propres chansons, ce qui ne l'a jamais empêché de travailler avec des auteurs comme Marc Chabot ou Hélène Pedneault. L'art de la chanson, croit-il, est difficile à maîtriser. «Je reçois beaucoup de textes et je constate que souvent, le gros défaut des gens est de vouloir tout dire. La chanson, c'est au contraire saisir un petit instant. C'est un miroir tendu, une photo d'un lieu, avec une lumière qui va être différente selon qu'elle soit du soir ou du matin.»

Les mots doivent atteindre le coeur et non la tête, dit Richard Séguin, qui aime la simplicité et la précision. «Une chanson, c'est fait d'émotion. Que tu parles de ta colère, de ton indignation, de ta mélancolie, elle doit porter cette émotion.»

LES CONVICTIONS

Homme de plusieurs combats, Richard Séguin s'est toujours tenu debout pour la protection de l'eau, contre la privatisation du mont Orford, pour les droits d'auteur. D'Occupons Montréal à la grève étudiante, il regarde ce qui se passe au Québec et s'en réjouit. «C'est la jeunesse en marche et je ne pense pas que ça va s'arrêter. Ce que je trouve désolant, c'est de voir ce gouvernement qui n'a pas compris que la jeunesse, le savoir et l'éducation sont la richesse d'un pays. C'est le signe qu'il a perdu la carte.»

Il estime que le gouvernement Charest, auquel il n'a jamais hésité à s'opposer «pour l'ensemble de son oeuvre», est épuisé. «Il est fatigué, et il nous fatigue! C'est ça qui se traduit dans les rues en ce moment.»

Dans cette année turbulente, il voit aussi émerger une «conscience planétaire». Content qu'une nouvelle génération prenne le relais? «On ne se sent jamais seul dans le combat. C'est tellement beau, être au service du bien commun. J'ai des souvenirs de soirées magnifiques...»

Mais la question «Qu'est-ce qu'on leur laisse», titre d'une chanson de Lettres ouvertes, son précédent album, est toujours présente, d'autant plus qu'il vient d'atteindre la soixantaine. «C'est une question qui vient avec la conscience de notre mortalité et de ce qu'on va laisser comme trace. Mais tout, dans la société de consommation, nous éloigne de cette finitude. J'aime bien cette phrase de Marie Uguay qui dit que notre passage sur Terre, c'est comme un caillou dans l'eau, ça fait de petites vagues et puis ça s'éteint. Moi, je pense à la mort depuis longtemps. Je vis bien avec cette idée... même si je ne l'invite pas à ma table!»