Le bonheur des uns casse les oreilles des autres, pour travestir l'adage. Issu de la mouvance post-punk/no wave new-yorkaise, le groupe Swans - essentiellement l'affaire du patron du label Young God et musicien Michael Gira - a, pendant 15 ans, brutalisé les tympans et les bonnes moeurs avec sa musique plus-gargantuesque-que-nature. Entrevue avec le maître de l'horreur (musicale), qui réactive le projet Swans... au bonheur de ses dévoués fans.

Autant faire la mise en garde suivante: si vous comptez assister au concert de Swans ce soir, au National, apportez vos bouchons. Le volume a déjà été si élevé dans les concerts du groupe qu'il rendait carrément malade certains spectateurs.

Swans, c'est d'abord physique. Ça arrache, les mots comme la musique. Gira et ses collaborateurs aiment gratter le bobo. Provoquer, aussi, comme dans provoquer un malaise, une réflexion. Exemple, les titres de vieilles compositions: Money is Flesh, Sex God Sex et la plus risquée d'entre elles, Raping a Slave.

«Comment je vais? Je ne sais pas comment je vais, répond Gira d'un ton placide, rejoint chez lui, à New York. Je travaille trop. Là, je dois traiter toutes les commandes qui nous sont arrivées sur le site web, je ne sais plus où donner de la tête.»

Depuis ses débuts en 1982, Swans commande une horde de fans dévoués, qui attendaient My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky, 12e album studio et le premier depuis 1996. Il a été autofinancé par les fans, qui n'ont rien perdu pour attendre. Ce disque puissant est d'une incontestable pertinence sur le plan des ingénieux arrangements comme des textes. À la fois une synthèse de tous les styles précédemment explorés et une progression dans la recherche des formes, entamée par le projet Angel of Lights qui occupait les temps libres de Gira ces dernières années.

«Oui, je suis vraiment surpris du bel accueil qu'a reçu cet album, je ne m'y attendais pas, dit-il humblement. Je vais devoir être à la hauteur sur scène. On met tout en place, je crois que ce sera un concert incroyable. Des versions de 20 minutes de mes compositions. Ce sera physiquement très exigeant, musicalement aussi.»

Les fans ont d'ailleurs souligné que la chanteuse/collaboratrice Jarboe n'a pas été invitée, «justement pour ne pas que ce soit un retour à une époque révolue. Nous sommes en bons termes, nous avons seulement pris des voies différentes», dit-il. Le guitariste Norman Westberg, témoin privilégié des grandes années Swans, est cependant de retour avec Gira. Celui-ci insiste: ce n'est pas une réunion nostalgique.

«J'ai arrêté Swans pour la même raison que je l'ai redémarré: j'étais, musicalement, dans une impasse. J'avais l'ambition d'explorer autre chose en abandonnant Swans, puis, durant Angel of Light, j'étais à nouveau attiré vers des compositions plus grandioses, plus musclées. Revenir à Swans, c'est comme se retrouver face à face avec son evil twin

Explorant les recoins les plus sombres de l'âme humaine avec son rock d'avant-garde bruitiste et assourdissant, Gira a mis fin à l'aventure Swans en 1997. Sa sulfureuse réputation de transgresseur résonnait alors autant que ses chansons pas ordinaires.

«Je ne me considère pas comme un provocateur, explique Gira. Ce que j'écris me paraît nécessaire, j'écris ces mots pour créer un état d'esprit qui ne vise pas la société ou la politique, ou quoi que ce soit. Les auditeurs réagissent comme ils le ressentent à partir de mes mots et de ma musique. Mais sur scène, je n'ai plus envie d'être le masochiste public, dit-il en rigolant. On joue encore de manière énergique, mais je ne saute plus partout comme si j'avais 15 ans.»