Première exposition nomade au Canada d'Esther Shalev-Gerz, artiste européenne de renom, La mémoire en mouvement est présentée à la galerie de l'UQAM jusqu'au 12 avril, après avoir été exposée à Kamloops en 2012 et à Vancouver en 2013. Au coeur de l'exposition: la rencontre de l'autre, la recherche intérieure, la culture de l'héritage, la créativité constructive et l'espoir de paix...

Elle est née en Lituanie en 1948. Elle a vécu en Israël et à New York avant que l'amour ne la fixe à Paris où elle réside depuis 1984. Elle enseigne une semaine par mois en Suède et vient en Colombie-Britannique chaque année depuis 30 ans, «dans sa cabane au Canada» qui est aussi son atelier.

Européenne d'idées, Esther Shalev-Gerz est une artiste sans frontières qui embrasse la vie, promeut la démocratie, célèbre la mémoire et apprend des cultures du monde pour élaborer une oeuvre fort enrichissante si l'on prend le temps de regarder, d'écouter et de sentir où elle veut en venir.

Parmi les installations qu'elle expose à l'UQAM, White-Out est la plus attachante. Constituée de 12 photos et deux projections de 40 minutes chacune, l'oeuvre évoque deux angles d'une même femme, Asa Simma. Comme l'explique en détail le catalogue très utile qui accompagne l'exposition, Asa Simma est à la fois suédoise et membre de la communauté samie, ces autochtones lapons qui vivent au nord de la Norvège, de la Finlande et de la Suède.

Dans une vidéo, Asa Simma a le port, la coiffure et l'allure d'une Suédoise; dans l'autre, entourée de végétation et le visage plus sauvage, l'autochtone se singularise avec ses yeux légèrement bridés. Asa Simma a compris qu'elle baignait dans deux cultures au moment où elle s'est mariée avec un autochtone canadien. Cette histoire - qui est un peu aussi la sienne - a fasciné Esther Shalev-Gerz.

«Je m'intéresse à ce qu'on a reçu, à notre héritage et aussi à ce que nous construisons et léguerons dans l'avenir», dit la plasticienne, très intéressée par l'ouverture aux autres des sociétés suédoise et canadienne.

Mme Shalev-Gerz travaille constamment sur ce souci de conserver le meilleur du passé pour bâtir un horizon plus clair, épuré de la bêtise des hommes d'hier. C'est ainsi que cette juive culturelle est finaliste - avec cinq autres équipes internationales d'artistes, d'architectes et de designers - pour obtenir le privilège de signer le Monument national de l'Holocauste qui sera érigé l'an prochain à Ottawa. L'équipe retenue sera annoncée ce printemps.

Une des oeuvres exposées à la galerie, Entre l'écoute et la parole: derniers témoins. Auschwitz 1945-2005, revient sur l'Holocauste. Mais on ne peut cette fois profiter, comme lorsque cette oeuvre a été présentée en 2010 au Jeu de Paume de Paris, des témoignages de 60 survivants de l'enfer nazi qui racontent pendant des heures l'inconcevable. On n'a gardé pour l'exposition itinérante que les «inter-dits», c'est-à-dire ce qui a été dit entre le moment où l'on pose une question au survivant et l'instant où il répond.

Un portrait de silences, donc, des silences durant lesquels les personnes cogitent pour retrouver des souvenirs d'une douleur innommable.

À la recherche des mots

Les mots manquent bien sûr dans cette installation. On les croit nécessaires pour marquer les esprits, verbaliser l'horreur et façonner la mémoire. Mais si les oeuvres d'Esther Shalev-Gerz ont un goût d'inachevé, c'est à dessein. Elle souhaite que le visiteur «termine le travail» selon sa propre sensibilité, son propre chemin. Car elle estime que l'art, en insinuant, peut transformer l'individu, lui forger un autre regard et faire apparaître de nouvelles façons de penser. Grâce à l'héritage, par la créativité et pour la paix. Optimiste, Esther Shalev-Gerz? «Gravement», répond-elle.

_________________________________________________________________________________

À la galerie de l'UQAM jusqu'au 12 avril.