Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) réunit Georgia O’Keeffe et Henry Moore pour une exposition qui fait la démonstration éloquente que le travail de ces deux artistes, qui vivaient sur deux continents différents, a des similitudes frappantes. Voire troublantes.

Georgia O’Keeffe et Henry Moore se sont-ils déjà rencontrés ?

La réponse n’est pas claire. Les deux artistes ont travaillé à la même époque ; lui en Angleterre, elle aux États-Unis.

En 1946, à New York, le Museum of Modern Art leur a consacré des rétrospectives distinctes. Ils se seraient probablement croisés, au moins lors d’un évènement. Mais il n’y a de trace de cette possible rencontre nulle part.

On peut alors se demander pourquoi le San Diego Museum of Art a eu l’idée de les réunir, pour une exposition commune.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphane Aquin, directeur du Musée des beaux-arts de Montréal

Cette rencontre posthume nous révèle une parenté profonde.

Stéphane Aquin, directeur du Musée des beaux-arts de Montréal

Vraiment ?

On connaît, et reconnaît, le travail de Georgia O’Keeffe, particulièrement ses fleurs très colorées, très structurées. Cette grandiose peintre américaine a passé une partie de sa vie au Nouveau-Mexique et sa terre d’adoption est aussi très présente dans son œuvre par ces magnifiques paysages de terre.

À première vue, peu à voir avec Moore, aussi un artiste gigantesque. Le Britannique est célèbre pour ses sculptures, souvent gigantesques aussi, mais pas autant qu’on pourrait le croire : seulement 10 % de ses sculptures sont de grande taille – dont deux qui se trouvent devant le MBAM, rue Sherbrooke Ouest, depuis quelques années.

Si on ne connaît que cela d’eux, on ne voit pas de lien de prime abord. Pourtant, il est là et loge probablement à la racine de leur art, où se trouve la nature. Tous deux étaient fascinés par la terre ; collectionnaient les os, les cailloux ; ramassaient les coquillages ou les ossements d’animaux. Cela se note dans leur travail, comme dans l’expo qui est découpée en un parcours thématique : les os, les pierres, les coquillages, les fleurs, etc.

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L’influence de la nature est partout dans l’exposition Géants de l’art moderne.

Une rencontre formelle

L’exposition rend hommage à ces deux géants qui se sont approchés de l’abstraction, sans l’embrasser. On peut la visiter en appréciant le travail de l’une. Puis de l’autre. Mais mieux vaut accepter cette idée du dialogue entre les artistes en entrant dans les salles du musée où l’on a vraiment entrelacé les œuvres. Et les rapprochements sont parfois saisissants.

Des exemples.

Un galet de Moore, petit, en bronze et fait en 1977 est exposé à côté d’une toile de 1938 d’O’Keeffe. Les deux œuvres semblent appartenir au même corpus.

Même étrange phénomène lorsque l’on se trouve face à une lithographie de Moore, faite en 1973 après une visite à Stonehenge. Dans cette expo, elle côtoie une toile de Georgia O’Keeffe de 1957 réalisée après un voyage au Pérou. Les deux œuvres se parlent.

Ou tout cela est-il le fruit de notre imagination ?

Inévitablement, on en vient à se demander si l’accrochage perturbe notre jugement.

Dans la partie de l’exposition où il est question des formes, on en vient à complètement revoir des sculptures de Moore. Elles sont accompagnées des fleurs de Georgia O’Keeffe qui se dévoilent complètement. On s’y sent parfois voyeur.

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La partie de l’exposition qui porte sur les formes internes/externes

Cette sérendipité artistique est-elle réelle ?

« Je vois des choses que je n’avais pas vues avant », admet Henry Danowski, qui connaît pourtant bien l’œuvre du sculpteur, puisqu’il est son petit-fils.

Il y a des liens, ils sont bien évidents bien que l’un soit un sculpteur et l’autre, une peintre. On est devant des œuvres en trois dimensions et en deux dimensions, mais elles sont influencées par les formes naturelles des objets.

Henry Danowski, petit-fils d’Henry Moore

Henry Danowski, fils de Mary, fille unique d’Henry Moore et du marchand d’art américain Ray Danowski, avait 2 ans à la mort de son grand-père. Il était présent à l’ouverture de l’exposition, mardi matin. Il reconnaît sans hésitation une influence commune, qui vient de cet intérêt pour les formes naturelles.

Ce qu’on retrouve dans les reconstitutions des ateliers des artistes, pour la partie un peu Walt Disney de l’expo. Parce qu’on aime tous voir ce petit bout physique, très concret, de leur univers. Les pierres, les crânes, les coquillages sont bien là.

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L’atelier d’Henry Moore était situé dans la campagne anglaise où il a acheté une propriété durant la guerre.

L’exposition contient aussi quelques photos des artistes, dont ce magnifique portrait de l’Américaine fait par Yousuf Karsh et deux courtes vidéos où on les voit parler de leurs œuvres – et dans laquelle Georgia O’Keeffe coupe court à un débat populaire, en disant que ceux et celles qui voient des représentations sexuelles dans ses fleurs n’ont qu’à interroger leur propre perception. Nous serons nombreux à le faire.

Georgia O’Keeffe et Henry Moore – Géants de l’art moderne. Au Musée des beaux-arts de Montréal, du 10 février au 2 juin 2024.

Consultez la page de l’exposition

O’Keeffe et Moore en quelques dates

  • 1887 : Naissance de Georgia O’Keeffe au Wisconsin
  • 1898 : Naissance d’Henry Moore en Angleterre
  • 1905 : O’Keeffe commence ses études à la School of the Art Institute de Chicago.
  • 1917 : Première expo solo d’O’Keeffe à New York
  • 1921 : Moore étudie au Royal College of Art de Londres.
  • 1946 : En mai, le Museum of Modern Art de New York présente sa première rétrospective consacrée à une femme, Georgia O’Keeffe.
  • 1946 : En décembre, le Museum of Modern Art présente une rétrospective du travail d’Henry Moore.
  • 1986 : Mort des deux artistes ; Georgia O’Keeffe à Santa Fe ; Henry Moore à Perry Green, dans la campagne anglaise