Nicolas Grenier est de retour chez Bradley Ertaskiran pour un solo qui marquera sa carrière. Esquisses d’un inventaire comprend de magnifiques œuvres au fusain et des sculptures qui nous font réfléchir sur les enjeux globaux d’aujourd’hui, traduits de façon spectaculaire.

Ça fait une dizaine d’années qu’on suit Nicolas Grenier et sa critique sociale tout en subtilité. Avec son attirance stylistique pour des procédés architecturaux, des symboles et des diagrammes, développés avec une peinture colorée en dégradés tout à fait remarquable.

Si on retrouve, dans Esquisses d’un inventaire, les préoccupations socioenvironnementales du lauréat du prix Pierre-Ayot 2016, ses nouvelles œuvres au fusain sont plus intuitives et surtout plus émouvantes.

Les collectionneurs ne s’y sont pas trompés. Ses œuvres partent comme des petits pains chauds depuis le vernissage. Son précédent travail au fusain remontait aux dessins croqués à partir de modèles vivants, lors de ses études universitaires. « C’était intéressant de m’y remettre, car je suis trop à l’aise avec l’huile. Ça me coupe de certaines idées dans la création. Là, au fusain, je peux faire des gaffes, les récupérer. Je n’ai pas le choix de me laisser guider par ce médium qui est le plus primitif puisqu’à l’origine, le fusain, ce n’est finalement qu’un bout de bois brûlé », dit l’artiste de 40 ans.

PHOTO FOURNIE PAR LA GALERIE

Offrandes, 2023, Nicolas Grenier, fusain sur papier, 146,1 x 102,9 cm

Ses œuvres ont été créées depuis août, la majorité ayant été terminées cette année. Elles parlent des cultures du monde, des croyances, de nos acquis, de nos défis, des guerres et ravages qui colorent l’évolution humaine, des conséquences du développement exponentiel du numérique, de l’intelligence artificielle, de son influence sur la démocratie, les communications, notre liberté. Contrairement à ses œuvres précédentes, desquelles faisaient souvent partie mots et slogans, Nicolas Grenier a choisi la voie de la suggestion, afin de laisser libre cours aux perceptions de chacun.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Inventaire (terrains, côtes, reliefs, climats, distances), 2023, fusain sur toile, 228,6 x 563,9 cm

Le plus grand fusain, Inventaire…, est une immense « carte du monde » complètement remaniée. Comme si la Terre, furieuse, avait déclenché une orogénèse foudroyante qui aurait chamboulé les continents de fond en comble ! On se divertit à essayer de distinguer où se trouvent Montréal, l’Inde, l’Afrique, la France, le Japon ou l’Australie ! Les dimensions des pays et des montagnes ont changé. La lecture s’en trouve compliquée, mais l’effet général est splendide.

Nicolas Grenier a créé des mouvements en effaçant des parties de ce paysage global devenu poétique. Un panorama torturé qui invite à réfléchir sur nos façons de traiter ce patrimoine terrestre si fragile.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Une huile à gauche – le style précédent de Nicolas Grenier – et un de ses nouveaux fusains, à droite

Nicolas Grenier s’est aussi remis à la sculpture. Il n’avait pas sculpté depuis 2017 et son The Keeper, une espèce de Big Brother à huit têtes. Ses deux nouvelles sculptures ont été réalisées par morceaux en impression 3D avec du filament PLA, le bioplastique des sculpteurs. Les morceaux ont été ensuite assemblés, sablés et recouverts notamment de poudre de fusain.

La première est une association d’un Jésus gothique torturé, typique du XIIIsiècle en Europe centrale, d’un Bouddha afghan du IIIsiècle et d’un Rama de l’Inde antique, festif et sensuel. Un mélange de styles et d’époques pour suggérer la variété des visions du monde. La seconde sculpture combine la statue de la Liberté et Lénine. Une évocation des idéologies du XXsiècle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Une des deux nouvelles sculptures de Nicolas Grenier

Parmi ses nouvelles œuvres à l’huile se rattachant à ses précédentes productions, Sketches of Scale traite aussi de l’idée d’inventaire avec la représentation de réseaux qui se ressemblent. Les branches d’un arbre, le réseau du pipeline qui transporte le gaz naturel russe vers les capitales européennes, notre réseau cérébral, des racines, le système vasculaire d’un poumon ou le réseau d’égouts de Vancouver ! Une sorte de déclinaison d’un même thème, pour illustrer l’organisation humaine, qu’elle soit intrinsèque ou extérieure.

PHOTO PAUL LITHERLAND, FOURNIE PAR LA GALERIE

Sketches of Scale…, 2023, huile et acrylique sur toile, 182,9 x 243,8 cm

Brillant et infatigable, Nicolas Grenier est déjà passé à l’étape suivante. Il travaille actuellement sur sa prochaine expo qui sera présentée en juillet à la Place Ville Marie. Un projet performatif avec MASSIVart sur l’intelligence artificielle. On a hâte.

Azza El Siddique

En parallèle, la galerie présente dans son bunker that which trembles wavers [ce qui tremble vacille] d’Azza El Siddique, l’artiste soudanocanadienne que Bradley Ertaskiran représente depuis octobre. Une expo en dialogue avec celle de Nicolas Grenier puisqu’elle aborde aussi les cultures du monde et les structures de pouvoir. Les œuvres sont présentées de telle sorte qu’on se croirait dans un mausolée ou une salle de musée d’œuvres antiques.

PHOTO FOURNIE PAR LA GALERIE

Mastery, 2023, Azza El Siddique, acier, porcelaine noire, 50,8 x 30,5 x 7,6 cm

Inspirée par le continent africain, cette nouvelle production comprend des œuvres en porcelaine noire issues du moulage de faux masques africains pour évoquer la mythologie et la réplication commerciale des objets d’art.

Mais c’est l’installation du bunker qui impressionne. Une odeur de bois de santal embaume l’espace où une sculpture représente un double cobra placé au-dessus d’une cuve d’acier remplie d’eau. La sculpture est en permanence mouillée par cette eau tombant de la structure. L’arrosage la teinte d’une couleur rouille. Une allégorie du pouvoir (le cobra) qui se désagrège quand il regarde dans deux directions opposées…

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Nouvelle œuvre d’Azza El Siddique

Nicolas Grenier et Azza El Siddique à la galerie Bradley Ertaskiran, jusqu’au 22 avril.

Visitez le site de la galerie