Les Iraniennes qui luttent au péril de leur vie pour obtenir une pleine liberté d’action sont le point de départ de l’exposition Vers la liberté montée chez Projet Casa, à Montréal, par la commissaire Mojeanne Behzadi. Une expo solide sur les droits de la personne et sur le remarquable et inspirant courage des femmes iraniennes.

Fin décembre, Danielle Lysaught, cofondatrice de Projet Casa, lieu d’art contemporain situé au bord du parc Jeanne-Mance, était très frappée par la révolte courageuse des femmes en Iran.

Elle a contacté l’historienne et commissaire montréalaise d’origine iranienne Mojeanne Behzadi pour mettre sur pied rapidement une expo évoquant leur lutte, mais aussi celle des Kurdes (en Turquie, Syrie, Iran et Irak), des Afghanes ou encore d’autres opprimés. « Car cela n’affecte pas seulement les femmes, mais aussi les communautés LGBTQ+et même les hommes, dit Mme Behzadi. Le vrai féminisme inclut tout le monde. Et libère tout le monde. »

Nous avons visité l’expo mercredi. Ça ne pouvait mieux tomber, durant la Journée internationale des droits des femmes. En plus, le 20 mars, ce sera Norouz, la fête iranienne qui célèbre le Nouvel An du calendrier persan. Dès la première installation, on est plongé dans les horreurs de la théocratie iranienne. Substitute (La remplaçante), de Leila Zelli et Guillaume Pascale, comprend une vidéo dans laquelle Leila Zelli rend hommage à Sahar Khodayari, cette jeune femme qui s’est immolée par le feu à Téhéran en 2019 après avoir été accusée d’avoir voulu assister, déguisée en homme, à un match de soccer, un loisir interdit aux femmes en Iran.

Leila Zelli, un foulard bleu sur la tête, est assise dans des gradins vides du CF Montréal, à proximité du stade Saputo. Elle n’assiste pas à la rencontre sportive dont on entend les acclamations. Sur son foulard est brodé l’extrait d’un poème du poète iranien Hamid Mosadegh. « Si je me lève, si tu te lèves, tout le monde se lèvera. Si je m’assois, si tu t’assois, qui se lèvera ? »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

À gauche, Diyar Mayil, au milieu Mojeanne Behzadi et, à droite, Danielle Lysaught

Artiste québécoise d’origine kurde, Diyar Mayil s’est intéressée à l’illustration du fait que lors de révoltes populaires, le nombre de victimes est si important et marquant qu’il tend à faire oublier ce qu’est réellement la douleur de chaque victime. Avec son installation Femmestatistics, elle a voulu représenter la gravité des discriminations tout en rendant hommage aux souffrances personnelles trop souvent ignorées.

L’œuvre est un boulier où des mèches de cheveux sont enroulées autour des tiges. On pense en voyant ces cheveux aux citoyens du monde, notamment des artistes, qui ont soutenu les femmes iraniennes en se filmant en train de se couper une mèche de cheveux sur les réseaux sociaux. Diyar Mayil effectue d’ailleurs des performances durant lesquelles elle compte des cheveux l’un après l’autre, pour exprimer la ténacité, la frustration et l’épuisement des femmes en lutte.

Mojeanne Behzadi a choisi également d’exposer la sculpture Study for a Garden, 2017, d’Abbas Akhavan, cet artiste iranien qui a remporté le prix Sobey en 2015 et qui habite depuis peu à Montréal. L’œuvre, qui appartient à la Caisse de dépôt et placement du Québec, est un fagot de branches moulées en bronze et posées sur le sol. Les branches semblent naturelles et inoffensives mais sont aiguisées à un bout, évoquant des lances. Une tension entre paix et violence, qui colle au thème exploré dans Vers la liberté.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Study for a Garden (détail), 2017, Abbas Akhavan, bronze, 50 pièces uniques de 47 pouces x 2 pouces x 2 pouces

À l’étage supérieur, le visiteur est invité à écouter une œuvre sonore d’une heure, Making Collective Prophecies, du collectif iranien Only Voice Remains, établi à Londres et « qui agit selon des valeurs transnationales, queer et féministes ». La pièce sonore est un montage de témoignages de femmes, iraniennes, kurdes, palestiniennes ou queer. Avec de la poésie, de la musique, des réflexions et des extraits sonores de manifestations. Une œuvre touchante qu’on suit en lisant une transcription imprimée.

L’expo s’accompagne d’un espace communautaire où on peut consulter des monographies, catalogues et livres reliés aux artistes et aux combats menés par les assoiffées de liberté. Y compris au Québec, alors qu’on reconnaît le cliché du photographe Alain Chagnon, pris en 1973, d’une manifestante prochoix tenant une pancarte indiquant « C’est à la femme de décider ».

  • La pièce communautaire

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    La pièce communautaire

  • Quelques ouvrages de consultation

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    Quelques ouvrages de consultation

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« Cette pièce communautaire, c’est pour créer une solidarité », dit Diyar Mayil, illustrant l’objectif de cette exposition. S’ouvrir aux autres, témoigner de l’empathie et du soutien envers les êtres en résistance, mais aussi envers ces artistes engagés qui croient dans l’importance du respect, de la justice et de la liberté, à une époque où les valeurs démocratiques ont du plomb dans l’aile dans bien des pays.

Vers la liberté, à Projet Casa, 4351, avenue de l’Esplanade, Montréal, jusqu’au 26 mars

Consultez le site de l’exposition