À l’issue d’une résidence artistique de plusieurs mois au musée McCord Stewart, l’artiste Karen Tam expose le résultat de sa recherche qui portait sur la communauté chinoise de Montréal, dont elle fait partie. L’exposition Avaler les montagnes est aussi un salut à la résilience des Canadiens d’origine chinoise qui ont souvent dû avaler des couleuvres dans leur pays d’adoption.

En ces temps de tensions diplomatiques entre le Canada et la Chine, une exposition qui aborde les conditions de vie des Québécois d’origine chinoise est une bonne occasion de réfléchir à notre histoire parsemée d’actes généreux, mais aussi d’attitudes condamnables à leur égard. Avec Avaler les montagnes, Karen Tam, née à Montréal en 1977 de parents chinois, porte un regard sur l’historique de migration des Chinois au Canada depuis le XIXsiècle. Ces citoyens venus s’installer dans les « Montagnes dorées », comme ils avaient surnommé le pays de la ruée vers l’or.

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE

Groupe photographié pour Sun To, avant 1923, William Notman & Son, collection musée McCord Stewart

Une loi sévère

Mais les Montagnes dorées avaient des côtés ternes. Le racisme, mais aussi l’isolement, puisque le Canada a longtemps empêché, par une lourde taxe d’entrée, les immigrants chinois de permettre à leurs femmes de les rejoindre. Cette année marque le 100e anniversaire de l’adoption de la Loi de l’immigration chinoise, qui interdisait toute immigration chinoise au Canada, à moins qu’on soit très riche. Il a fallu attendre que des Canadiens d’origine chinoise tombent au combat durant la Seconde Guerre mondiale pour que le Canada abroge cette loi, restée en vigueur durant encore des années.

PHOTO WILLIAM NOTMAN, FOURNIE PAR LE MUSÉE

Les gouvernantes et l’enfant McDonald, Montréal, 1867, William Notman, collection du musée McCord Stewart

Karen Tam s’est plongée dès juin dernier dans les archives du musée McCord Stewart pour évoquer les conditions de vie difficiles des Montréalais d’origine chinoise, notamment les femmes. Elle a recueilli aussi des documents de membres de la communauté sino-montréalaise. Il en résulte une expo avec toutes sortes d’objets, de vêtements, de meubles, de photographies et un film qui résume sa démarche. Une expo dans laquelle on découvre des caractéristiques de cette population longtemps concentrée dans le Quartier chinois, mais aujourd’hui fondue dans la communauté québécoise, même s’il y a de nouvelles concentrations, comme à Brossard.

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Cache-pot, 1900-1925, Bretby Art Potery, collection musée McCord Stewart

Les photographies fournies par la communauté chinoise nous font réaliser que les immigrants arrivés au Québec se sont intégrés en adoptant nos activités. Faire des sports d’hiver, jouer au baseball, participer aux activités des festivals (bateau-dragon !), aller sur les plages, etc. Une photo des années 1940 montre une vingtaine d’ingénieurs d’origine chinoise établis à Montréal.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Une vitrine de l’exposition contient notamment des objets chinois vendus dans d’anciennes boutiques de Montréal.

Des niches révélatrices

Karen Tam a créé plusieurs niches dans lesquelles elle évoque des sujets particuliers. Dans l’une d’elles, elle a représenté deux fois le caractère chinois signifiant le bonheur, un symbole exhibé lors des mariages. Dans une autre niche, on voit ses deux arrière-grands-parents. L’homme a fait partie des Chinois venus « faire fortune » au Canada. Les deux portraits sont accompagnés de fauteuils vides suggérant la souffrance de ces hommes privés de leurs femmes à cause de la loi de 1923. Dans une vitrine, Karen Tam expose le certificat d’identité délivré par Ottawa en 1912 à son arrière-grand-père.

  • Le double caractère chinois signifiant deux fois bonheur

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Le double caractère chinois signifiant deux fois bonheur

  • Les arrière-grands-parents de Karen Tam

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Les arrière-grands-parents de Karen Tam

  • Exemples de certificats d’identité pour immigrants chinois dans les années 1920

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Exemples de certificats d’identité pour immigrants chinois dans les années 1920

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Un mur diffuse des ombres chinoises de personnages d’un opéra cantonais dont on entend un extrait. Le décor est constitué d’une photo prise dans le Quartier chinois, cet îlot qui subsiste, après des réductions massives de sa superficie, des années 1960 aux années 1980, pour permettre l’émergence du siège social d’Hydro-Québec, du Complexe Desjardins, du Complexe Guy-Favreau et du Palais des congrès. Karen Tam travaille sur l’idée d’un opéra cantonais qui se déroulera en ces lieux de mémoire souvent amère, la communauté chinoise estimant avoir été blessée dans le passé par un certain dédain de l’administration municipale.

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À droite, l’œuvre sonore Le parcours d’une héroïne à travers des territoires hostiles

Sur un autre mur, Karen Tam a créé une large vitrine avec, au fond, un magnifique papier peint aux motifs chinois. Sont exposés des manteaux de soirée en soie que portaient des Montréalaises dans les années 1910, un éventail en bois et filament créé par l’artiste et des photographies de membres de la communauté, notamment Edith Eaton, cette écrivaine montréalaise née d’un père britannique et d’une mère chinoise qui signait ses œuvres Sui Sin Far.

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Manteau de soirée en soie, vers 1906, collection musée McCord Stewart

La profusion d’images de Sino-Montréalais, en famille, à l’école, jouant au hockey, rendant hommage aux ancêtres, participant à des réunions communautaires, à des spectacles, nous rendent attachants ces concitoyens que l’on croise dans le Quartier chinois. C’est sans doute la réussite de cette expo, mais aussi du travail artistique inlassable de Karen Tam depuis 20 ans : nous permettre de faire une distinction entre la politique internationale et la richesse de notre diversité.

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