L’Europe est le théâtre d’opérations coup de poing de la part de militants écologistes qui s’en prennent à des œuvres d’art dans des musées, pour sensibiliser le public aux impacts des énergies fossiles. Ici, les musées et galeries d’art réagissent avec prudence et appellent à la collaboration plutôt que l’affrontement.

Même si les musées ont de tout temps suscité des coups d’éclat du genre, les institutions québécoises ne restent pas les bras croisés. À Québec, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) a développé une série de protocoles lui permettant de réagir rapidement si un tel évènement survient.

« La situation actuelle force nos équipes de sécurité à réviser ces protocoles et à être particulièrement vigilantes, dit Linda Tremblay, responsable des relations de presse au MNBAQ. Nous sommes prêts à toute éventualité. Les actes de vandalisme sur les chefs-d’œuvre de l’art mondial nous interpellent, et ce, indépendamment des revendications. »

PHOTO JUST STOP OIL, ASSOCIATED PRESS

Deux militantes de Just Stop Oil ont jeté de la soupe sur Les tournesols de Vincent Van Gogh à la National Gallery de Londres, le 14 octobre.

Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) dit faire preuve d’une vigilance accrue dans le contexte actuel. D’ailleurs, les sacs à dos doivent être laissés au vestiaire, et ce, depuis l’inauguration de l’exposition À plein volume – Basquiat et la musique. Au Musée d’art de Joliette, aucun sac n’est plus permis dans les salles et les contrôles ont été resserrés à l’entrée.

Que penser de ce type d’action ?

Au musée McCord Stewart, la présidente et cheffe de la direction Suzanne Sauvage appuie « bien sûr » la cause de l’écologie. « Nous avons mis en place un plan d’action en développement durable très actif, dit-elle. Mais on considère que les gestes posés dans ces musées sont surtout des coups d’éclat qui génèrent pendant un jour ou deux une forte couverture de presse, mais ont tendance à faire ombrage à l’objectif réel derrière ces gestes. »

PHOTO PHIL NIJHUIS, AGENCE FRANCE-PRESSE

La police monte la garde devant le musée Mauritshuis à La Haye, aux Pays-Bas, peu après l’opération de deux militants écologistes près de la peinture La jeune fille à la perle, de Johannes Vermeer, le 27 octobre.

Le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) se désole aussi de ces actions. « Bien que nous puissions reconnaître certains des enjeux soulevés, nous ne sommes pas d’accord avec ces tactiques, dit Denise Siele, gestionnaire principale des communications au MBAC. Le saccage intentionnel d’œuvres d’art prive la société de notre capacité d’apprécier pourquoi ces œuvres ont été créées et comment l’art, sous toutes ses formes, peut favoriser l’amélioration de la condition humaine. »

Du côté des galeries, on voit mal comment des militants pourraient s’en prendre à des œuvres d’artistes d’ici. « Ce serait manquer complètement la cible », dit le galeriste Hugues Charbonneau.

Les artistes sont parmi les personnes les plus vulnérables de la société. Leur revenu moyen pour la vente d’œuvres, c’est 1500 $ par année. S’attaquer à ces gens-là, je ne comprendrais pas.

Hugues Charbonneau, galeriste

PHOTO TENZIN HEATHERBELL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Deux militantes de Last Generation se sont collées à l’armature soutenant un squelette de dinosaure, au Musée d’histoire naturelle de Berlin, le 30 octobre.

Comme Hugues Charbonneau, le galeriste Pierre-François Ouellette ne comprend pas pourquoi on s’attaque à des œuvres de la collectivité. « Les musées sont des acteurs sociaux, pas seulement des gardiens du passé, dit-il. Ils sont conscients des enjeux actuels. Ils ont entendu les récriminations pour écarter les mécènes dérangeants [comme au MET de New York, avec la famille Sackler]. Ils ont intégré la critique environnementale. C’est désolant que les musées soient visés. »

« On peut quand même se réjouir du fait que ces actions ont été faites sur des œuvres protégées par des vitres, ajoute Jean-François Bélisle, directeur du Musée d’art de Joliette. Il semble y avoir une certaine conscience. En même temps, les activistes devaient savoir que les revendications sociales partent souvent du milieu artistique. Alors, le faire à leurs dépens, c’est un non-sens. »

Le Musée d’art de Joliette aura, à l’automne 2023, une saison entièrement consacrée aux sujets environnementaux. « On invite les écologistes à travailler avec nous, dit M. Bélisle. Utilisons le porte-voix du musée pour leur cause. Pas les uns contre les autres. Les uns avec les autres. »

Bernard Landriault, cofondateur de la Fondation Grantham pour l’art et l’environnement, partage cette position. Il trouve les coups d’éclat réalisés en Europe inadéquats. « Il faut convaincre les gens par les arts et non pas en posant des gestes agressifs, dit-il. Ce matin, on a reçu un groupe de 13 jeunes scientifiques spécialisés en environnement. On leur disait qu’on avait besoin de travailler ensemble, en présentant par exemple leurs travaux appuyés par des œuvres d’art. C’est ensemble que nos deux actions prennent plus de sens. »

Les récents coups d’éclat

Le 14 octobre, de la soupe de tomate a été jetée par deux militantes écologistes sur la plaque de verre protégeant Les tournesols de Van Gogh, à la National Gallery de Londres. Le 23 octobre, de la purée était lancée par deux autres militants sur la vitre couvrant Les meules, de Claude Monet, au musée Barberini de Potsdam, en Allemagne. Quatre jours plus tard, deux militants se sont collés près du chef-d’œuvre La jeune fille à la perle de Johannes Vermeer, au musée Mauritshuis de La Haye, aux Pays-Bas. Dimanche dernier, au Musée d’histoire naturelle de Berlin, deux militantes se sont collées à l’armature d’un squelette de dinosaure. Ces opérations contre des œuvres donnent des idées, comme on l’a vu lundi, à l’Alte Nationalgalerie de Berlin, où un individu a aspergé de liquide rouge la vitre de la toile Clown de Toulouse-Lautrec.